Au cœur de la débâcle grecque, quatre retraitées se suicident pour soulager leur entourage du fardeau de leur vie. Ce geste tragique aussi désespéré qu’altruiste met en évidence les ravages de la crise dans les marges vulnérables de la société. Dans une adresse brûlante aux spectateurs, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, fervents artistes de la scène italienne indépendante, rendent à cette histoire troublante la grâce de ses moindres tressaillements.
Sur un plateau presque vide, dans une courageuse vulnérabilité, quatre comédiens mènent avec une simplicité désarmante une enquête humaniste au cœur des dernières heures des quatre vieilles femmes, épuisées des impératifs d’utilité et de réussite de la société contemporaine. Comment rendre sur scène ce geste politique ? Que peut l’art devant la crise ? Leur jeu pur, direct, prompt à ébranler le présent, restitue le drame bouleversant et l’inquiétant paysage dans lequel il s’inscrit : le chaos, la pauvreté, l’effritement social, le manque de vision future. Une merveille d’intelligence théâtrale d’où jaillit l’éclat d’un refus.
Daria Deflorian + Antonio Tagliarini (Rome)
Leur collaboration artistique s’amorce en 2008 autour du spectacle Rewind, en hommage au mythique Café Müller de Pina Bausch. À la fois auteurs, acteurs et metteurs en scène, le tandem valorise des processus entre enquête et recherche théâtrale. Ils créent From A to D and Back Again (2009) inspiré d’Andy Warhol. En 2010, ils découvrent l’inventaire de la vie de Janina Turek dans un reportage de Mariusz Szczygiel, point d’impulsion du Progetto Reality dont sont issues l’installation performance Czeczy/cose (2011) et la pièce Reality (2012). Inspiré par une image du roman Le justicier d’Athènes de l’écrivain Pétros Márkaris, leur second spectacle présenté cette année au FTA, Ce ne andiamo… (2014), a été honoré d’un prestigieux prix Ubu pour l’innovation dramaturgique.
Pour leur première visite à Montréal, Deflorian et Tagliarini défendent deux pièces où la force du récit et de l’imaginaire vient irriguer d’implacables réalités reléguées aux franges de l’histoire. La modicité et le vide ambiant sont autant d’occasions d’évoquer le monde à travers eux. Ils misent sur le pacte de confiance qui les lie aux spectateurs, considérant chacun d’eux comme partie prenante de l’espace scénique. Poursuivant leur recherche sur l’époque actuelle, tous deux préparent pour l’automne 2016 Il cielo non è un fondale (Le ciel n’est pas une toile de fond).
Section vidéo
Lumières Gianni Staropoli
Organisation Anna Pozzali
Accompagnement et diffusion internationale Francesca Corona
Communications PAV
Crédit photo Elisabeth Carecchio
Durée : 1 h
Tarif 34 $ à 40 $
27 mai, rencontre après la représentation
Classes de maître
Inspirés par leur prochaine création, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini (Ce ne andiamo… + Reality) invitent les participants à mener une enquête personnelle et collective sur leur manière de communiquer et leur capacité d’être sur scène non seulement en tant qu’interprètes mais en tant qu’auteurs.
Création au Festival Romaeuropa, Rome, 7 novembre 2013
Coproduction Teatro di Roma, Romaeuropa 2013, 369gradi (Rome) avec la collaboration de / in association with Festival Castel dei Mondi (Andria)
Résidences de création Centrale Fies (Dro), Olinda (Rome), Angelo Mai Altrove Occupato (Rome), Percorsi Rialto (Rome), Fondazione Romaeuropa, Teatro Furio Camillo (Rome), Carrozzerie n.o.t. (Rome)
Présentation en collaboration avec Carrefour international de théâtre (Québec), Théâtre ESPACE GO
Théâtre ESPACE GO
4890, boulevard Saint-Laurent
Billetterie : En ligne : fta.ca
Par téléphone
514 844 3822 / 1 866 984 3822
En personne :
La Vitrine, billetterie officielle du FTA* -
2, rue Sainte-Catherine Est (métro Saint-Laurent)
*En personne, les billets pour les spectacles présentés à la Place des Arts ne sont pas en vente à La Vitrine, mais exclusivement à la PDA.
La crise a fait la une des journaux du monde entier, elle a notamment fait grand bruit quand la Grèce s’est enfoncée, la crise a grondé, enflé, causé un chaos dans l’économie et dans la vie des gens… mais comment la transposer sur scène? Dania Deflorian et Antonio Tagliarini, qui présentent deux productions pour leur première participation au FTA, se sont, avec Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni, plutôt intéressés à ce qui pèse sur les individus et une société en temps de bouleversements économiques.
Dans son essai philosophique La société de la fatigue, le Coréen Byung-Chul Han revendiquait le besoin de redonner sa place au non, à la colère, à la négativité dans nos vies. La pièce du duo italien, qui s’en est inspiré, tourne autour de cette même revendication. Le spectacle, dont le titre signifie « nous partons pour ne plus vous donner de soucis », commence d’ailleurs avec l’annonce par les acteurs que la représentation n’aura pas lieu. Ils ne pensent pas la faire; non parce qu’ils ne sont pas prêts, mais parce qu’ils ne sont pas encore certains de la manière de parler de la crise sans verser dans la rhétorique. Ils sont avant tout motivés par le désir de parler de quatre femmes grecques dans la soixantaine, qui ont décidé de se suicider pour ne plus être un poids économique pour la société. Il s’agit d’un fait divers imaginé par Petro Markaris dans son roman Le justicier d’Athènes, mais qui rappelle des actes d’immolation bien réels, eux. Comment traduire sur scène le suicide de ces femmes en un geste politique?
La scène dépouillée, au-dessus de laquelle flotte un seul néon, blafard comme il se doit, baigne dans la lumière en son centre et plonge dans l’ombre en périphérie. Les comédiens y passent de l’ombre à la lumière, du visible à l’invisible, prenant tantôt la parole, mais laissant surtout les autres s’exprimer. La succession de soliloques se joue autour de trois chaises et d’une table.
Quoiqu’esthétiquement superbe, le spectacle, présenté en italien surtitré en français et en anglais (malgré un problème technique de quelques minutes le premier soir), nous laisse un peu sur notre faim. Vue d’ici, la crise européenne paraît bien lointaine : difficile de ressentir cet état pesant, cette insécurité quotidienne qui habite le peuple grec par exemple, et de comprendre la portée puissante du geste métaphorique de ces quatre femmes. Deflorian et Tagliarini, aux côtés des comédiens Valentino Villa et Monica Piseddu, s’adressent d’abord à nous en leur nom propre, ils nous confient leurs réflexions sur la situation, leurs expériences aussi. Mais c’est quand ils parlent des quatre femmes, de leur détermination et de leurs derniers instants qu’ils visent le plus juste.
Des propos et réflexions des quatre acteurs se dégage un grand sentiment d’abdication devant les conséquences économiques. Toute la production nage dans une impression d’inéluctabilité et d’impuissance de l’individu confronté à la crise : les magasins qui ferment, les pensions de retraite qu’on sacrifie, les prix qui montent. Sans musique, sans changement d’éclairage, sans costumes ou presque et sans artifice de scène, Ce ne andiamo ne pèse pourtant pas comme une chape de plomb, recelant au contraire beaucoup d’humour. Le spectacle de la compagnie italienne évite le piège du marasme et de la dépression en se raccrochant à la motivation altruiste de ces femmes qui ont choisi le suicide pour soulager la société, un acte dont les créateurs ont voulu voir et montrer la beauté plutôt que le désespoir.