L’auteur Étienne Lepage, avec la complicité du chorégraphe Frédérick Gravel, revient affronter le chaos humain. Après Ainsi parlait… (FTA, 2013), le percutant duo se penche sur les malaises d’égos en chute libre, l’angoisse d’êtres fragiles soudain conscients du pire à l’intérieur d’eux-mêmes, curieux de voir jusqu’où les mèneront leurs instincts. Dans un monde où le pire est presque certain d’arriver, mieux vaut s’attendre à ce que ça finisse mal.
Empêcheur de penser en rond, Lepage compose des scènes portées par des personnages d’une lucidité et d’une drôlerie fulgurantes, dévoilant la face obscure d’individus qui dégringolent dans l’absurdité, dépassés par l’ignominie de leur propre logorrhée. Les images-chocs foisonnent, livrées par une équipe d’interprètes goguenards et agiles. Portraits de trentenaires nonchalants, délurés et plutôt désespérés. Une série d’instants crus, d’actions loufoques et de réflexions déroutantes est exposée sans fard dans une langue trempée dans l’acide. Défense et illustration de la loi de Murphy.
Étienne Lepage (Montréal)
Impétueux, engagé, partisan du mouvement et des idées, Étienne Lepage s’impose en tant qu’auteur dramatique dès sa sortie de l’École nationale de théâtre du Canada avec Rouge gueule. Créée en 2009, la pièce marque les esprits par son ton féroce et sa langue impitoyablement précise.
Également scénariste et traducteur, il s’adonne avec succès au théâtre jeune public, notamment avec Histoires pour faire des cauchemars, une pièce créée à Bruxelles et présentée aux Coups de théâtre en 2012. Plus récemment, à la Maison Théâtre, il réinvente pour marionnettes le conte La reine des neiges qui devient Le cœur en hiver. La même année, le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui propose Robin et Marion, un cruel questionnement sur l’amour. L’enclos de l’éléphant (FTA, 2011) reçoit le Prix du texte original des critiques de l’AQCT. Ainsi parlait… (FTA, 2013), proposition radicale et engagée, s’affiche comme la première collaboration entre Étienne Lepage et Frédérick Gravel et est présentée ailleurs au Canada, en France et aux Pays-Bas.
Frédérick Gravel (Montréal)
Le public du FTA connaît bien Frédérick Gravel puisque, dès 2009, Gravel Works déclenche un électrochoc ; ironique et impertinent, le chorégraphe s’amuse à bousculer les frontières entre danse, théâtre et performance.
En 2010, il revient avec le délirant Tout se pète la gueule, chérie, désarroi du mâle contemporain sur musique rock et esthétique trash. Vient ensuite Usually, Beauty Fails en 2012. À l’automne 2015, il n’hésite pas à rompre avec son exubérance, en concevant et interprétant le duo intimiste This Duet That We’Ve Already Done (so many times), avec Brianna Lombardo.
Section vidéo
Scénographie et costumes Romain Fabre
Lumières Alexandre Pilon-Guay
Musique Robert M. Lepage
Crédit photo Stéphane Najman Photoman
Durée : 1 h
Tarif 34 $ à 40 $
4 juin, rencontre après la représentation
Partys
Pour la dernière de Logique du pire, le jukebox crache le pire des palmarès. Un cauchemar musical du dimanche, entre cabane à sucre, noces et party de graduation ! Crottes de fromage à volonté.
Création au FTA, Montréal, le 3 juin 2016
Coproduction Festival TransAmériques, Théâtre de l’Ancre (Charleroi)
Résidence de création Place des Arts
Place des Arts - Cinquième salle
Place des Arts
Billetterie : En ligne : fta.ca
Par téléphone
514 844 3822 / 1 866 984 3822
En personne :
La Vitrine, billetterie officielle du FTA* -
2, rue Sainte-Catherine Est (métro Saint-Laurent)
*En personne, les billets pour les spectacles présentés à la Place des Arts ne sont pas en vente à La Vitrine, mais exclusivement à la PDA.
On connaît Étienne Lepage pour son écriture sans concession et sans détour. Et on connaît la force de l’esthétique de Frédérik Gravel, qui s’appuie davantage sur l’image que le sens. Ensemble, ils avaient créé en 2013 au FTA l’intriguant et cynique Ainsi parlait… où les personnages se succédaient au micro pour se confier, s’affirmer, provoquer. Les deux créateurs reprennent une forme semblable avec leur création Logique du pire. Avec plus de mordant et d’aplomb, ils s’éloignent cette fois du processus de création qui sous-tendait leur première collaboration et présentent une production plus mature.
Les comédiens habitent nonchalamment le grand plateau très éclairé d’une scène libérée de ses coulisses. Presque au centre, un grand sofa d’un vert vif ; tout autour, des projecteurs semblent surgir du sol. Et puis il y a une console, où les interprètes s’assoiront tour à tour. Enfin, bien sûr, il y a les micros, qu’ils se passent de main en main.
Logique du pire tire son titre de l’essai philosophique de Clément Rosset, mais s’en éloigne considérablement dans le contenu, sinon pour un passage sur le hasard et la notion d’une anti-extase. Le spectacle se bâtit autour des personnages et de leurs monologues et échanges, les uns s’adressant tantôt au public, interrogeant tantôt les autres. D’emblée, un comédien nous présente la production comme une série d’histoires et de témoignages pouvant être pris séparément, mais qui, ensemble, dépassent l’effet global pour tendre vers une logique… celle du pire. Pendant une heure bien courte, c’est ce qu’ils s’appliqueront à faire avec un humour corrosif, féroce et un détachement qui tient du tour de force.
L’un rejette les conseils d’un médecin d’arrêter de boire parce que, au final, aujourd’hui, même la mort n’est plus douloureuse. Un autre est questionné par une animatrice incrédule sur sa manière de vivre en ne se souciant pas de ce que les gens pensent, ni de donner le meilleur de lui-même parce que… à quoi bon? Un autre encore fait du sexe et se masturbe jusqu’à ce que son pénis ne soit plus qu’un amas de chair sanguinolent (réactions dégoûtées de la foule assez divertissantes), passant du plaisir à la douleur sans état d’âme. Et ils défilent tous les uns après les autres dans cette même indifférence apparente à leur sort autant qu’au sort des autres. Jusqu’à cette femme qui, ouvrant la porte de son appartement, défonce accidentellement et brutalement le crâne d’un homme qui se trouve derrière (démonstration hilarante à l’appui, solide Marilyn Perreault) et se débarrasse du corps comme d’un vieux tapis.
Le texte de Lepage, soutenu par les déplacements quasi minimalistes et très naturels de la mise en scène de Gravel et Lepage, se révèle cru sans être vulgaire, cynique sans être dépressif (loin de là!) et follement drôle, malgré le constant pesant fait par les cinq trentenaires désillusionnés, blasés de tout et de tous. Ils ne sont ni de bons amis, ni de bons chums, ni de bons fils, ni de bons humains, ni de bons citoyens, pourrait-on ajouter. Ils insultent, brutalisent, détruisent, puent la merde, se montrent cruels sans méchanceté aucune, car la cruauté met tout à l’épreuve, car la cruauté est la seule capable de trouver la guerre sous la paix, mais aussi la paix sous la guerre. Ils mènent une quête collective vers le pire en chacun d’eux, chez l’autre et dans la société. Très à l’aise sur le plateau, les cinq comédiens et comédiennes donnent corps à la perte de repères, à la souffrance sous-jacente, tout en conservant un masque d’indifférence troublant. Leur interprétation est aussi redoutable que percutante. Ils ne livrent pas le texte, ils sont le propos.
Face aux « mauvais humains » désabusés et sans passion de Logique du pire, qui envisagent la cruauté avec un détachement qui devraient nous faire frissonner, mais qui nous fascine ou nous fait rire, on ressent une attirance irrépressible pour leurs récits. Logique du pire, c’est une quête lucide menée par un duo de créateurs visiblement capables de tirer le meilleur du pire.