Romeo Castellucci fascine, bouleverse, illumine, dérange profondément. Ses images — fabuleusement insaisissables — font éclater en plein théâtre ce que voilent les plis de l’Histoire et les replis de l’inconscient. Pour la cinquième fois, le FTA accueille cet immense créateur avec une œuvre traversée par le sacré qui confronte l’âpreté du réel au vertige d’un grand mythe.
Avec Go Down, Moses — le titre d’un hymne religieux des esclaves noirs américains — Castellucci s’empare du mythe de Moïse pour mieux le dissimuler dans un stupéfiant condensé du voyage de l’humanité, de notre époque actuelle jusqu’à ses origines préhistoriques. Autour de la figure insoutenable de réalisme d’une mère qui, comme celle du premier prophète, abandonne son enfant, Castellucci déploie d’énigmatiques tableaux qui nous plongent dans des songes dont la clef gît dans nos plus anciennes mémoires. À nouveau, il place chacun d’entre nous face à plus grand que soi.
Romeo Castellucci (Cesena)
Fondée en 1981 à Cesena, dans le nord de l’Italie, par le peintre et scénographe Romeo Castellucci, la musicienne Chiara Guidi et la théoricienne Claudia Castellucci, la Socìetas Raffaello Sanzio s’est imposée sur la scène internationale comme l’une des compagnies de théâtre les plus importantes d’aujourd’hui par la radicalité esthétique et la profondeur humaine de ses créations.
Bien qu’il soit nourri par les œuvres fondatrices de la culture occidentale, notamment celles d’Eschyle, de Dante et de Shakespeare, le théâtre profondément humaniste de Romeo Castellucci se situe dans le sillage de la pensée d’Antonin Artaud, où les corps, souvent atypiques, concentrent le sens, intégrés dans de troublants environnements visuels et sonores.
Au FTA, on a déjà pu voir de Castellucci Orestea, una commedia organica ? (1997), Genesi, From the Museum of Sleep (2002), Hey Girl! (2007) et Sur le concept du visage du fils de Dieu (2012). Parmi ses œuvres majeures, mentionnons aussi le cycle La Tragedia Endogonidia (2002-2004) et la très marquante trilogie La Divina Commedia — Inferno, Purgatorio, Paradiso — d’après Dante (2008). Récemment, il abordait la mise en scène d’opéra avec Parsifal de Wagner (La Monnaie, Bruxelles, 2011) et Moses und Aron de Schönberg (Opéra de Paris, 2015). Les éditions 2014 et 2015 du Festival d’automne à Paris, présentant chacune trois œuvres de sa création, l’ont consacré artiste majeur de notre temps, tandis que la Biennale de Venise lui a remis son prestigieux Lion d’Or en 2014 pour l’ensemble de sa carrière théâtrale.
Section vidéo
Musique Scott Gibbons
Collaboration à la scénographie Massimiliano Scuto
Assistance à la conception lumières Fabiana Piccioli
Assistance à la conception sonore Asa Horvitz
Photo Guido Mencari
Durée : 1 h 20
Tarif 40 $ à 60 $
3 juin, rencontre après la représentation
Autres activités
Romeo Castellucci propose avec Go Down, Moses une œuvre grandiose et cryptée d’une grande humanité. Artiste prolifique, il passe de mises en scène au sein de sa compagnie à celles des plus grandes maisons de théâtre et d’opéra. Devant les images scéniques de ses œuvres récentes, Castellucci commente son parcours des dernières années. Puis, éclairant Go Down, Moses, il livre sa vision de l’art et du monde.
Animation : Paul Lefebvre
Films
« Lorsqu’il déborde des cadres prédéfinis, le théâtre peut s’avérer d’une extrême cruauté ». C’est ce qu’avance Romeo Castellucci tandis qu’il s’entretient de l’absolutisme de l’art avec le commissaire du Philadelphia Museum of Art, Carlos Basualdo.
Questions of Practices – États-Unis, The Pew Center for Arts and Heritage (Philadelphie), 2013, 24 min, v. o. it. s.-t. ang.
De quel péché l’artiste est-il coupable ? Parce qu’il ne sait, il est perdu. Dans la Cour d’honneur à Avignon en 2008, Romeo Castellucci met en scène l’angoisse et la souffrance dans Inferno, librement inspiré de La divine comédie de Dante.
Inferno – France, Don Kent, 2008, 1 h 46, sans dialogue
Création au Théâtre Vidy-Lausanne, le 25 octobre 2014
Coproduction Théâtre de la Ville – Festival d’Automne à Paris, Théâtre de Vidy-Lausanne, deSingel International Arts Campus (Anvers), Teatro di Roma, La Comédie de Reims, Le Maillon – Théâtre de Strasbourg – Scène Européenne, La Filature – Scène Nationale-Mulhouse, Festival Printemps des Comédiens (Montpellier), Athens Festival 2015, Le Volcan – Scène nationale du Havre, Adelaide Festival 2016, Peak Performances 2016 (Montclair State) en collaboration avec le Festival TransAmériques
Présentation avec le soutien de Istituto Italiano di Cultura di Montréal
Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : En ligne : fta.ca
Par téléphone
514 844 3822 / 1 866 984 3822
En personne :
La Vitrine, billetterie officielle du FTA* -
2, rue Sainte-Catherine Est (métro Saint-Laurent)
*En personne, les billets pour les spectacles présentés à la Place des Arts ne sont pas en vente à La Vitrine, mais exclusivement à la PDA.
Si, au 18e siècle, pour l’auteur et comédien français Philippe Néricault dit Destouches, «la critique est aisée et l’art est difficile», la critique demeure à l’occasion douloureuse. Témoignera-t-elle de tous les frémissements et de toutes les sensations enchanteresses d’une production comme Go Down Moses ? Au Théâtre Denise-Pelletier, le temps a suspendu son vol, à tel point qu’on aurait pu entendre une mouche voler ; elle aurait même pu s’inscrire dans l’univers de l’iconoclaste metteur en scène italien Romeo Castellucci.
Au fil des décennies, le créateur est devenu un habitué de la programmation du FTA avec Orestea, una commedia organica? en 1997, Genesi, From the Museum of Sleep en 2002, ou encore Hey Girl! en 2007. Plus récemment, c’est accompagné d'une rumeur de scandale et de soufre qu’il nous a rendu visite en 2012 avec Sur le concept du visage du fils de Dieu. Dans cette édition, où les soubresauts du Printemps érable se manifestaient souvent par un concert de casserole au début des représentations, le spectacle ne faisait pas dans la dentelle avec ses innombrables séquences scatologiques et sa conclusion hâtive, autour d’une ribambelle d’enfants qui lançait des grenades sur un portrait de l’icône chrétienne. Le goût de la provocation racoleuse et faussement dérangeante avait plu à certains, mais d’autres étaient restés sceptiques ou sur leur appétit.
Fort heureusement, toute la conception de Go Down Moses (le titre est puisé d’un hymne religieux des esclaves noirs américains, hymne dont nous entendons certains échos) esquive toute trace de sensationnalisme et d’images choquantes. Elle dessine un, ou plutôt des mondes, autour du mythe de Moïse. Pendant environ 80 minutes, l’histoire se déplace des origines préhistoriques à notre début de siècle. Imprégnée par la pensée du premier prophète du judaïsme, la proposition théâtrale de Castellucci se déroule entièrement derrière un immense tulle. Ce choix esthétique, et même ici éthique, confère une distance salutaire aux scènes les plus crues et ajoute même une dimension beaucoup plus onirique aux passages, surtout vers la fin, près de l’allégorie et du fantasme.
Avant que les lumières s’éteignent et que tous les spectateurs aient regagné leurs sièges, les comédiens évoluent déjà sur le plateau. Avec leurs costumes élégants déclinés dans différentes teintes et leurs robes qui semblent sorties de chez Laura Ashley, ils ont l’allure de mannequins d’un catalogue de mode d’une autre époque. Ce prélude est suivi par un tableau qui tranche par sa violence et son propos explicite. Nous nous retrouvons dans une salle de bain au climat glauque. Une jeune femme à la chevelure brune semble avoir commis un auto-avortement. Tremblante, elle se promène entre la toilette et le lavabo, laissant au passage bien des traces de sang rouge sur les murs, le papier-cul et le bain. Elle émet des spasmes ; aucune parole compréhensible ne sort de sa bouche. Par la suite, un commissaire de police l’amène au poste pour l’interroger. D’abord protégée par une couverture à la texture étincelante, la «victime» répond, assise sur une chaise, aux questions de manière évasive. Son interlocuteur, légèrement machiste et rude, cherche à la confronter dans ce seul échange parlé de toute la pièce. Quelques secondes après cet entretien qui laisse planer bien des mystères, «l’accusée» se glisse sous une autre couverture. Elle donne l’impression de disparaitre du lieu. L’image en devient saisissante par ses allusions, volontairement ou non, au célèbre tableau de Salvador Dalí, La Persistance de la mémoire (connu aussi comme Les Montres molles), alors que le personnage semble se liquéfier sous nos yeux. Par la suite, le passage d’un individu dans une machine hybride MORPHO TEP entraîne un autre moment d’une beauté plastique et atmosphérique prodigieuse, comme un songe. Des êtres nus aux corps peints en blanc émergent d’une caverne (dont des morceaux sont reproduits dans cette scénographie imaginative). Ils se promènent dans un climat poétique évoquant le ballet érotique de l’opéra Tannhäuser de Richard Wagner. L’un d’entre eux trace un SOS sur le tulle et donne des coups comme autant de signaux d’alarme. Du début à la fin, la musique saisissante de Scott Gibbons enveloppe l’ensemble de touches d’inquiétude, tel un miroir implacable des angoisses qui nous pendent au bout du nez.
Inoubliable, une œuvre percutante comme Go Down Moses continue de marquer les esprits bien longtemps après le retour à la maison.