Formidablement inventifs et un brin subversifs, les membres de La 2e Porte à Gauche donnent de bienfaisants coups de pied dans la fourmilière de la création contemporaine depuis plus de 10 ans. Sous l’impulsion de la dramaturge Katya Montaignac, ils déboulonnent les préjugés liés à l’âge dans Pluton en jumelant jeunes créateurs aguerris et figures historiques de la danse québécoise. Une œuvre de mémoire et de rencontres insolites.
Les danseurs de ces quatre courts opus de l’acte 2 ne sont pas nés de la dernière pluie. On les découvre pourtant nus comme au premier jour. Portraits intimes croqués par les regards de leurs cadets. Paul-André Fortier, le magnifique, en dialogue avec les hésitations de Frédérick Gravel. Louise Bédard, l’ultra sensible, vulnérabilisée jusqu’à la trame par Catherine Gaudet. Peter James, l’inquiétant, percutant l’univers absurde de Katie Ward. Et puis, Linda Rabin, la sensorielle, et Marc Boivin, l’impétueux, livrés à la furieuse poésie de Mélanie Demers. Un pari fou. Un beau cadeau.
Mélanie Demers (Montréal)
Mélanie Demers développe une signature coup-de-poing au sein d’une compagnie qu’elle a baptisée MAYDAY. Entre pamphlet et exutoire, ses œuvres à la théâtralité souvent baroque cherchent des raisons d’espérer dans un monde en proie à l’injustice et à la destruction.
Après Danse à 10, La 2e Porte à Gauche lui offre de travailler avec ses mentors : Linda Rabin, déjà danseuse dans l’Acte 1, et Marc Boivin. Enseignant charismatique, ce dernier est aussi un danseur et improvisateur hors pair, récompensé par plusieurs prix. Polyvalent et engagé, il débute au Groupe de la Place Royale à Ottawa, puis rejoint Ginette Laurin à O Vertigo en 1985 avant de se mettre au service d’une grande diversité de signatures. Chorégraphe depuis peu, il œuvre au patrimoine de la danse québécoise en tant que président de la Fondation Jean-Pierre Perreault.
Catherine Gaudet (Montréal)
Tout en micromouvements et sensibilités à vif, la physicalité brute de Catherine Gaudet surgit des distorsions entre émotions et façade sociale, et se teinte d’une théâtralité combinant tensions dramatiques, sens de l’absurde et humour noir.
Ex-membre de L2PAG, elle participa à la conceptualisation de Danse à 10 et à la création de Rendez-vous à l’hôtel. Son esthétique de la faille et de la contradiction trouve en Louise Bédard un terreau idéal. Formée dès 1979 dans le creuset du Groupe Nouvelle Aire, cette dernière s’affirme rapidement comme interprète de grand talent en collaborant avec Jeanne Renaud, Jean-Pierre Perreault et d’autres créateurs. Dès 1983, elle signe des œuvres intimistes avec une gestuelle pétrie d’émotions qui plonge le spectateur au cœur de l’inconscient. Un match parfait.
Frédérick Gravel (Montréal)
Ses œuvres aux allures de fête ou de concert pop-rock ont fait de Frédérick Gravel l’un des chorégraphes québécois les plus en vue sur la scène internationale.
Artiste pluridisciplinaire pourfendeur de codes, il est à la tête du GAG, le Grouped’ArtGravelArtGroup et au sein de L2PAG qu’il a cofondée avec Marie Béland. Membre de Circuit-Est centre chorégraphique, comme Paul-André Fortier, il frotte l’élégance et la rigueur de ce dernier à sa danse énergique, hésitante et sensuelle. Également issu du Groupe Nouvelle Aire, ce chorégraphe presque septuagénaire s’impose encore des défis d’interprétation comme de danser 30 minutes, 30 jours d’affilée en extérieur. Fortier s’ouvre par ailleurs à de jeunes artistes avec les projets de Fortier Danse Création, la compagnie qu’il a fondée en 1981.
Katie Ward (Montréal)
Douée d’un humour absurde très british, Katie Ward privilégie la quête et l’authenticité aux codes esthétiques et aux discours prédigérés.
Curieuse de tout ce qui relève de la perception, elle mise sur les sens pour créer et livrer ses œuvres, travaillant plus spécifiquement sur les fluctuations subtiles d’énergie. Chorégraphe pour le Bal Moderne et le pARTy de L2PAG, elle rencontre pour Pluton un acteur-danseur-performeur des plus intenses. Depuis plus de 30 ans, Peter James s’illustre dans les sphères théâtrale, chorégraphique et circassienne à titre d’interprète, metteur en scène ou metteur en piste, conseiller artistique et dramaturge. Les ateliers qu’il donne régulièrement sur la présence scénique sont très prisés.
Section vidéo
Composition musicale Tomas Furey
Lumières Frédérick Gravel, Caroline Nadeau
Regard extérieur Marie Béland
Direction des répétitions (Opus Mélanie Demers) Chi Long
Direction de production Vanessa Bousquet
Photo Julie Artacho
Durée : 1 h 40
Tarif 34 $ à 40 $
29 mai, rencontre après la représentation
Partys
Party Pluton – l’autre génération
Samedi 28 mai, 22 h 30, QG du Festival
Les danseurs et chorégraphes vétérans de Pluton – acte 2 ont marqué l’histoire de la danse québécoise. Louise Bédard, Marc Boivin, Paul-André Fortier, Peter James et Linda Rabin nous livrent l’étonnante playlist de leurs années folles.
Court-métrage en ouverture de soirée: Migrant Bodies
Création au FTA, Montréal, le 28 mai 2016
Coproduction Festival TransAmériques, Danse-Cité
Partenaires de création / Creative partners Fortier danse création, MAYDAY, Agora de la danse
Agora de la danse
840, rue Cherrier
Billetterie : En ligne : fta.ca
Par téléphone
514 844 3822 / 1 866 984 3822
En personne :
La Vitrine, billetterie officielle du FTA* -
2, rue Sainte-Catherine Est (métro Saint-Laurent)
*En personne, les billets pour les spectacles présentés à la Place des Arts ne sont pas en vente à La Vitrine, mais exclusivement à la PDA.
En dix années de fréquentation du FTA, peu de soirées ont été aussi équivoques et aussi étranges que cette présentation de Pluton – acte 2. Des moments d’une belle intensité ont côtoyé d’autres carrément grotesques, plates et gênants, sur les planches de l’Agora de la danse.
Nouvelle création de la compagnie la 2e Porte à Gauche, l’étrange objet se décline en quatre parties conçues par autant de chorégraphes : Mélanie Demers, Catherine Gaudet, Frédérick Gravel et Katie Ward. Il est entrecoupé d’un entracte et dure environ deux heures.
La première partie demeure sans contredit la plus forte et la plus intrigante, malgré des baisses de tensions ici et là. Elle s’amorce avec un solo dansé par le chorégraphe Paul-André Fortier. Avec son crâne chauve et son physique athlétique, ce dernier suscite l’attention par ses séries de mouvements parfois brusques. Mais surtout, grâce à sa présence, il sait aussi accrocher notre regard lors de ces instants de quasi-immobilité (très habitée par contre) par une forme d’assurance tranquille. La musique de Tomas Furey apporte des touches de tension à cette performance aussi vive qu’élégante.
Ensuite, c’est au tour de Louise Bédard de s’exécuter. Avec ses cheveux roux, l’artiste offre pendant un peu plus d’un quart d’heure et des poussières de très beaux moments entremêlés de passages plus discutables. Les éclairages très évocateurs de Frédérick Gravel et de Carole Nadeau démontrent une harmonie avec le propos qu’ont retrouvent peu dans les morceaux subséquents. Lorsqu’elle bouge avec toute sa passion et toute son âme, Bédard communique sans difficulté avec son auditoire. Ses simulations de la folie évoquent une autre de ses prestations marquantes, Les traces no II du chorégraphe Daniel Léveillé, où elle déambulait sur la scène avec un regard absent. Quand dans la présente œuvre, elle recule dans l’espace avec les bras qui tournent devant son visage, la séquence témoigne d’une grande force poétique. Le rideau noir à l’arrière-scène devient, sous les lumières, une forêt presque inquiétante et cauchemardesque. Pourtant, la chorégraphe a eu l’idée peu heureuse d’ajouter des interventions parlées où la danseuse interpelle des gens présents ou non à l’événement (dont «Jean-Hugues»), répète souvent qu’elle s’appelle Louise Bédard («et non Louise Lecavalier ou Margie Gillis») et qu’elle vit à Montréal pour exercer son métier. Très anecdotiques, ces ruptures de ton brisent le charme, qui, lorsqu’il opère, nous fait frémir.
Le public est prié de sortir de la salle pour un réaménagement de l’aire de jeu. Au retour, les sièges sont répartis des deux côtés, alors que les derniers numéros tranchent avec les fragments précédents par leur dimension collective. Le reste du programme se démarque également par des «audaces» aussi vides de sens qu’inintéressantes au niveau de la forme et du fond. La troisième piécette «orchestrée» par Gravel met en vedette, de mémoire, trois interprètes (deux hommes et une femme) qui entonnent de temps à autre des extraits de chansons en anglais. Le tout s’avère très ennuyeux, sans rythme et sans joie, mais soulignons la tentative de l’un des deux performeurs masculins de marcher avec des talons hauts en minaudant avec le sourire.
Le pire surgit tout de suite après avec une interminable proposition. Sur des tabourets, de nombreuses jeunes femmes s’assoient autour d’un homme (Peter James), mélange de gourou et de petit loubard avec ses pantalons décontractés et sa tuque callée sur sa tête. Comme des potiches ou des mannequins décoratifs, elles bougeront à peine avant la conclusion qui arrive comme une délivrance. Dans ce tableau propice à bien des expériences, comme de faire tourner une petite balle sur un tabouret, monter ou descendre les escaliers, déplacer des rideaux pour révéler un bout de mur ou encore regarder en silence, pendant de longs instants, les gens pour soi-disant susciter le malaise. Seuls quelques mouvements de chorégraphie surgissent enfin. Le «maître» se place derrière la tête de l’un des spectateurs et ose quelques mouvements saccadés avec ses bras. Cette accalmie dure à peine quelques secondes. Une comédienne connue exhibait au public un sourire de ravissement. Existe-t-il un dixième degré de compréhension qui a échappé au critique? Émergeait-il une volonté de déstabiliser les gens et de les sortir de leur torpeur, sans pousser l’audace à la manière d’une compagnie comme Le Living Theatre, ou de dépouiller de ses artifices la pratique artistique comme le chorégraphe Philippe Decouflé dans un solo inoubliable présenté à l’Usine C il y a quelques années?
De retour à l’extérieur, la chaleur accablante de l’après-midi s’est légèrement dissipée et on se souhaite une rencontre plus agréable et moins prétentieuse avec les trois danseurs de Judson Church is Ringing in Harlem (Made-to-Measure)le lendemain.