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Festival TransAmériques - 30 - 31 mai 2016, 20h

The Ventriloquists Convention

Théâtre
En anglais avec surtitres français
Un spectacle de D.A.C.M., Puppentheater Halle
Création et mise en scène Gisèle Vienne
Texte Dennis Cooper en collaboration avec Interprètes
Cocréation et interprétation Jonathan Capdevielle, Kerstin Daley-Baradel, Uta Gebert, Vincent Göhre, les interprètes de Puppentheater Halle incluant Nils Dreschke, Sebastian Fortak, Lars Frank, Ines Heinrich-Frank, Katharina Kummer

Perturbant, mystérieux, inquiétant. The Ventriloquists Convention est un choc. Gisèle Vienne revient du congrès international annuel des ventriloques dans le Kentucky avec une reconstitution quasi documentaire dans laquelle neuf ventriloques et leur collection de marionnettes hétéroclites se livrent à d’étranges rites, faisant basculer la réalité dans une fable étrange. Qui participe donc à une réunion de ventriloques : le manipulateur ou la marionnette ?

Après Jerk, l’artiste franco-autrichienne retrouve Dennis Cooper et Jonathan Capdevielle pour créer un habile jeu de dédoublement et de dissociation où le faux se fond dans le vrai. Cette plasticienne, metteure en scène et chorégraphe hors pair s’immisce dans les méandres de la psyché et des névroses humaines avec cette fiction hyperréaliste. Sa maîtrise est stupéfiante, tout autant que celle de l’ensemble des marionnettistes du Puppentheater Halle d’Allemagne qui incarnent ce groupe d’humains bigarré et touchant. Parfois drôle, souvent glaçant, ce spectacle dissonant sonde l’âme des vivants et des absents. Subversif.

Gisèle Vienne + Denis Cooper + Puppentheater Halle (Halle + Strasbourg)

Depuis une douzaine d’années, son théâtre s’intéresse aux images silencieuses qui nous hantent. L’artiste sans compromis qui, à 39 ans, a déjà une impressionnante feuille de route, construit une œuvre qui fascine et dérange, interrogeant le rapport trouble que nous entretenons avec nos fantasmes et la part maudite des relations humaines, faites de manipulation, de domination et de violence. Parmi ses œuvres récentes, mentionnons This Is How You Will Disappear (2010) et The Pyre (2013).

Poursuivant ses travaux sur les rapports du corps à la voix, Vienne crée avec The Ventriloquists Convention une série de portraits sur les marionnettistes-ventriloques qui sondent notre psychologie à travers différents jeux d’incarnation et de dédoublement. Cette création marque sa première invitation au FTA et une nouvelle étape dans sa collaboration avec l’auteur américain Dennis Cooper avec lequel elle travaille depuis une douzaine d’années, entre autres pour Jerk et Kindertotenlieder, deux pièces vues à Montréal respectivement au Théâtre La Chapelle en 2010 et à l’Usine C en 2014. Interprétée par le Puppentheater Halle d’Allemagne et d’autres artistes parmi lesquels Jonathan Capdevielle, Kerstin Daley-Baradel et Uta Gebert, The Ventriloquists Convention est une des œuvres les plus accomplies de Vienne, où le spectaculaire et l’étrangeté viennent directement accuser notre sentiment de normalité.

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Le malaise inconscient

De l'aveu même de la créatrice et metteure en scène de The Ventriloquists Convention, Gisèle Vienne, l'une des pièces les plus attendues du FTA (deux soirs à guichet fermé), la ventriloquie a toujours fasciné. Pas étonnant qu'avec un titre comme celui-là, l'Usine C attire les foules.

Datant de l'époque des oracles, la ventriloquie et le rapport à celui-ci se sont néanmoins transformés au cours de l'histoire, particulièrement dans les dernières années, avec le foisonnement de films et d'objets culturels qui dépeignent le malaise du public face à ces marionnettes qui parlent. On trouve étrange qu'un comédien fasse parler une marionnette, et ce, sans bouger les lèvres. Les préjugés sur l'état mental des ventriloques sont nombreux ; on s’interroge sur leur rapport malsain à leur marionnette, sur la motivation même de choisir de faire parler une marionnette plutôt qu'eux-mêmes et sur ce choix artistique qui semble étrange pour plusieurs.

À l'image de ce que l'auteure a vu en assistant à la convention internationale des ventriloques qui se tient chaque année dans le Kentucky, elle a tenté de créer sur scène une petite communauté étrange et hétéroclite, mais qui partage la même passion de la ventriloquie. On y retrouve un travesti et son fils, interprétant respectivement une mante religieuse et un muppet, la fille de la star de la ventriloquie, une vedette commerciale qui œuvre à Las Vegas, une infirmière qui réconforte les enfants malades avec sa marionnette lugubre et une artiste rebelle.

Pour construire cette histoire très réaliste, à la limite de l'improvisation, Vienne s'est allié avec ses partenaires de longue date, Dennis Cooper (texte) et Jonathan Capdevielle, Kerstein Daley-Baradel, Uta Gebert et Vincent Göhre (co-création). Elle a également fait appel au Puppentheater Halle (Allemagne). Tous les comédiens conservent leur propre nom ; ils se dévoilent ainsi peu à peu, sans jugement, à travers leur marionnette, développent des dynamiques, ensemble ou à travers leurs pantins. Le propos prend davantage une tourne sérieuse qu’humoristique.

Débutant sur un ton plutôt ludique, malgré la musique inquiétante qui accueille le spectateur, cet étrange objet théâtral sombre rapidement dans un univers plutôt triste (particulièrement la dernière scène), à la limite du paranormal, jouant sur les voix inconnues qui surviennent d'on ne sait où, et qui résonnent à la fois dans la pièce et à travers les marionnettes, qui vraiment, semblent tout à fait détachées de leurs maîtres.

The Ventriloquists Convention possède de nombreux niveaux d'interprétation, de conscience et d'inconscience. On joue beaucoup sur le malaise que représentent les ventriloques en général ; le fait que leurs interprètes sont étranges, qu'ils ressemblent à leur personnage, qu'ils se confondent l'un dans l'autre, que les marionnettes semblent indépendantes de leurs maîtres. Et à travers les divers numéros de la pièce, on joue également sur la raison de choisir cet art. Est-ce pour combler la solitude parce qu’ils ne se sentent pas bien dans leur corps? Ou pour contrer la gêne à travers un personnage plus excentrique? Ou simplement exprimer sa pratique artistique? 

On constate aussi que les marionnettes ne sont pas que des visages humains. On y voit un insecte, un spectre, une vedette décédée (Kurt Cobain) et même un oreiller. Les comédiens autant que leurs marionnettes brisent constamment les différents registres de jeu, interprétant à la fois leur personnage de scène ventriloque et leur vraie personnalité hors scène comme participant au congrès. Même chose pour les marionnettes.

The Ventriloquists Convention nous fait découvrir toutes les facettes de l'univers des ventriloques, qui continue de nous échapper par ses mystères, mais qui, en même temps, nous éclaire sur ses origines, ses défis, ses raisons d'être et sur la fascination justifiée qu'il suscite.   

31-05-2016