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Festival TransAmériques - 2 juin 2017, 19h, 3 juin 2017, 14h
Wycinka Holzfällen – Des arbres à abattre
Théâtre
En polonais avec surtitres en français et anglais
Texte Thomas Bernhard
Basé sur la traduction de Monika Muskała
Adaptation, mise en scène, scénographie et lumières Krystian Lupa
Interprétation Bożena Baranowska + Krzesisława Dubielówna + Jan Frycz + Anna Ilczuk + Michał Opaliński + Marcin Pempuś + Halina Rasiakówna + Piotr Skiba + Ewa Skibińska + Adam Szczyszczaj + Andrzej Szeremeta + Wojciech Ziemiański + Marta Zięba

Une création d’une ampleur souveraine. Un théâtre voué à l’infinie complexité de la condition humaine. Le grand homme de théâtre polonais Krystian Lupa, maître et inspiration de deux générations de metteurs en scène d’Europe centrale, offre au soir de sa vie son chef-d’œuvre.

Pour cette première visite en Amérique du Nord, il revient à la parole grinçante de l’auteur autrichien Thomas Bernhard dans un audacieux alliage de théâtre et de cinéma, porté par des comédiens stupéfiants de vérité. Quelques jours après avoir appris le suicide d’une amie, un écrivain est convié à un dîner artistique rassemblant quelques artistes embourgeoisés terriblement viennois. Il a autrefois fréquenté ces gens. Mais alors que l’ombre de la disparue plane ce soir-là, il les déteste plus que jamais. Tout est prêt pour un règlement de comptes impitoyable : l’art avilit-il irrémédiablement ceux qui s’y consacrent ? Lupa pose la question de manière éblouissante.

Krystian Lupa (Vratislavie) - Teatr Polski we Wrocławiu

Le Polonais Krystian Lupa est un des grands maîtres de la mise en scène contemporaine, issu de la riche tradition artistique d’Europe centrale.


Section vidéo


Costumes Piotr Skiba
Arrangements musicaux Bogumił Misala
Rédaction Paul Lefebvre
Photo Natalia Kabanow

Durée : 4 h 40 avec entracte

2 juin / Rencontre après la représentation

TERRAINS DE JEU

Films

Le charme discret de la bourgeoisie

Dimanche 14 mai, 17 h, Cinémathèque québécoise

Le charme discret de la bourgeoisie Des trafiquants de drogue et leurs proches petits-bourgeois diffèrent sans cesse un dîner pour des raisons infiniment absurdes. Fourre-tout magistralement pensé, l’univers surréaliste et délicieusement décalé de Luis Buñuel est à son sublime. Oscar du meilleur film étranger en 1973.

France, Luis Buñuel, 1972, 1 h 46, v.o. fr.

Un spectacle de Teatr Polski we Wrocławiu

Présentation avec le soutien de Instytut Adama Mickiewicza (Varsovie)


FTAThéâtre Jean-Duceppe
Place des Arts
Billetterie : En ligne : fta.ca
Par téléphone 514 844 3822 / 1 866 984 3822
En personne :
La Vitrine, billetterie officielle du FTA* - 2, rue Sainte-Catherine Est (métro Saint-Laurent)
*En personne, les billets pour les spectacles présentés à la Place des Arts ne sont pas en vente à La Vitrine, mais exclusivement à la PDA.

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Critique

Crédit photo : Natalia Kabanow

Après une représentation unique de Des arbres à abattre (Wycinka Holzfällen) au Carrefour à Québec (lire notre critique), c’était au tour de Montréal de goûter au travail de Krystian Lupa, l’enfant terrible du théâtre polonais. Précédé par d’excellents échos, notamment d’Avignon, où il était présenté en 2015, le spectacle décapant était attendu avec impatience dans la métropole.

Ce soir-là, les Auersberger donnent ce qu’ils appellent pompeusement l’un de leurs dîners artistiques. L’auteur et narrateur, Thomas,  y est invité. Il ne sait pas pourquoi il a accepté cette invitation, voilà 20 ans qu’il ne les fréquente plus. Il les déteste autant qu’il déteste leurs convives, des artistes embourgeoisés qui ne créent plus rien, nous confie-t-il en traçant leur portrait avec des mots lapidaires. Peut-être le suicide d’une amie commune, Joana, dont l’ombre plane sur toute la soirée mondaine, a-t-il à voir avec son besoin de renouer avec eux.

Force est d’admettre qu’avec ses près de cinq heures de représentation, son aspect très statique, sa scénographie lourde (mais magnifique) et ses personnages antipathiques, Des arbres à abattre n’a rien d’un spectacle aimable. La pièce, écrite en 1984, est un constat d’échec amer et douloureux, celui que l’intelligence et le talent ne peuvent faire autrement que de s’avilir. C’est aussi le portrait tranchant d’une certaine classe de la société qui aime se poser en artiste et en intellectuel, mais qui, au fond, cherche seulement à briller. Au fil de la pièce, les personnages eux-mêmes en viennent à cesser de prétendre, à s’exposer autant qu’à exposer les autres pour ce qu’ils sont, les ersatz des créateurs qu’ils ont pu être un jour. « Autrefois, on se réunissait pour créer, aujourd’hui on se réunit pour détruire », constate l’un des convives dans un de ces rares instants de franchise et de lucidité.

Tandis que les invités attendent l’arrivée promise d’un acteur du Théâtre National, les minutes s’allongent, le temps piétine, les sujets se cherchent, les paroles tournent à vide. La mise en scène de Lupa, un habitué des textes de Thomas Bernhard, insiste volontiers sur la nature irritante de cette attente, celle de l’arrivée du comédien, celle de la révélation artistique, celle du débat intelligent, de la révolte, de l’accomplissement, du dévoilement… Mais rien ne se produit jamais. Pendant la première heure et demie, sur scène, c’est l’immobilisme qui règne en maître, et le public a l’impression de s’enfoncer à son tour dans cet état de stagnation. Figés d’ennuis dans leurs sièges, le regard fixé partout sauf sur leurs voisins, les artistes en déclin déversent leur venin d’abord indirectement, puis de plus en plus ouvertement, à mesure que la soirée avance et que l’alcool délie les langues. Leur fiel coule sur scène comme un sirop épais, qui englue jusqu’à leur moindre mouvement.

Pourtant, et sans qu’on en prenne vraiment conscience au départ, Des arbres à abattre met consciencieusement et tranquillement à nu les travers des personnages, leur médiocrité et la vacuité vaseuse dans laquelle ils se sont enfoncés au fil de leur quête de reconnaissance et de pouvoir. Cette lente vivisection du microcosme culturel et de son besoin de conformisme réussit autant à exaspérer (par sa lenteur) qu’à fasciner (par son acuité). Malgré le regard dur que l’auteur porte sur ses semblables, subsiste une certaine forme d’empathie, mêlée de pitié, envers ces hommes et ces femmes aigris par l’envie et qui ont sacrifié leurs rêves créateurs pour un confort bourgeois. Le talent avec lequel les acteurs de cette production portent leurs personnages joue certainement pour beaucoup dans cette appréciation.


Crédit photo : Natalia Kabanow

Dans Des arbres à abattre, à la manière du personnage de l’auteur, toujours placé hors du cadre de la scène, le public pose sur la « bonne société artistique viennoise » un regard extérieur très critique. L’effet observateur-observé est accentué par un ingénieux dispositif scénique qui met littéralement en boîte les personnages en les enfermant dans une cage de verre qui tourne quelques fois pendant la représentation, toujours très lentement, notamment pour dévoiler des souvenirs partagés de l’auteur et de Joana. L’une des scènes les plus touchantes de la pièce est d’ailleurs l’un d’eux.

Soulignons pour finir la détermination de la direction du FTA (et du Carrefour), sans laquelle le public québécois n’aurait pu voir la production. En effet, le gouvernement polonais, par de nouvelles politiques culturelles (selon lesquelles l’art doit défendre les valeurs nationales et chrétiennes du pays), fait tout en son pouvoir pour empêcher les représentations de ce spectacle qui, ironiquement, dénonce notamment une mainmise de l’État sur la culture à travers ses institutions culturelles, ses subventions, sa façon de considérer ou de déconsidérer l’art selon les valeurs à défendre.

C’est aussi vidé et épuisé que les Auersberger  et leurs invités que le public quitte la salle après la tombée du rideau. La lente charge de Thomas Bernhard contre un milieu nécrosé, incapable de s’extraire de sa médiocrité intellectuelle érigée en art, continue de brûler… longtemps…

04-06-2017