Huit ans après les sensationnelles Tragédies romaines, Ivo van Hove déploie à nouveau sa redoutable machine théâtrale avec une autre trilogie shakespearienne.
Le maître belge injecte fureur et éclat à Henri V, Henri VI et Richard III, trois souverains dans la tempête du pouvoir, issus de la même dynastie que la reine Élizabeth II qui nous gouverne, ici et maintenant. Un événement.
Trois époques, trois règnes. La transformation d’Henri V, la bigoterie d’Henri VI, la soif de puissance de Richard III. Saisissant feuilleton guerrier, l’œuvre de Shakespeare admirablement condensée se cristallise autour d’une question fondamentale : comment gouverner ? Enfermés dans une war room, les monarques y opèrent jeux de coulisses, assassinats et intrigues. Jusqu’à leur déchéance. Sur un plateau démesuré et labyrinthique, pendant que des écrans crachent la guerre en direct, ces œuvres classiques apparaissent plus que jamais enracinées dans notre temps. Un théâtre exaltant porté par quatorze comédiens fulgurants et cinq musiciens live. Du grand art.
Texte Shakespeare
Mise en scène Ivo van Hove
Interprétation Hélène Devos, Jip van den Dool, Fred Goessens, Janni Goslinga, Aus Greidanus jr., Marieke Heebink, Robert de Hoog, Hans Kesting, Ramsey Nasr, Chris Nietvelt, Harm Duco Schut, Bart Slegers, Eelco Smits, Leon Voorberg
Traduction Rob Klinkenberg
Crédits supplémentaires et autres informations
Adaptation et dramaturgie Peter Van Kraaij
Adaptation Bart Van den Eynde
Scénographie et lumières Jan Versweyveld
Composition musicale Eric Sleichim
Contreténor Steve Dugardin
Musiciens BL!NDMAN [brass] : Max Van den Brand, Charlotte van Passen, Daniel Quiles Cascant, Daniel Ruibal Ortigueira
Costumes An D’Huys
Vidéo Tal Yarden
Assistance à la mise en scène Nina de la Parra, Olivier Diepenhorst
Assistance à la dramaturgie Thomas Lamers
Assistance à la scénographie Bart Van Merode, Pascal Leboucq
Assistance à la vidéo Rodrik Biersteker
Assistance aux lumières Trent Suidgeest
Assistance à la conception sonore Finn Kruyning
Conseil au casting Hans Kemna
Direction technique et de production Wolf-Götz Schwörer
Rédaction Diane Jean
Traduction Neil Kroetsch
Photo Jan Versweyveld
Durée 4h30 incluant un entracte
Un supplément de 25 $ s’appliquera si vous choisissez Kings of War dans votre forfait.
Rencontre après la représentation du 26 mai
Création au Wiener Festwochen, Vienne, le 5 juin 2015
Un spectacle du Toneelgroep Amsterdam
Co-commissaires Barbican (Londres), Chaillot – Théâtre national de la Danse (Paris), Wiener Festwochen (Vienne)
Coproduction BL!INDMAN (Bruxelles), Holland Festival (Amsterdam), Muziektheater Transparant (Anvers)
Avec le soutien de Rabobank Amsterdam
Producteurs privés Harry, Marijke van den Bergh
Présentation en collaboration avec Théâtre Denise-Pelletier
Certainement l’un des retours les plus attendus au FTA cette année après son passage remarqué en 2010 avec ses Tragédies romaines, le metteur en scène d’origine belge, mais installé aux Pays-Bas, Ivo Van Hove, n’a pas déçu en offrant une relecture épique, à la fois léchée et sale, du cycle des rois de Shakespeare.
Avec Kings of War, Van Hove et sa compagnie Toneelgroep Amsterdam revisitent plus particulièrement les destinées funestes et fulgurantes de trois rois : Henri V et Henri VI, de la maison Lancaster, et l’usurpateur York, Richard III. Plaçant les prémisses de la guerre des Deux-Roses dans une vaste war room (une scénographie travaillée tout en lumière crue et en volumes carrés), le metteur en scène s’intéresse à la figure du leader, aux visions du pouvoir, mais aussi au poids des responsabilités, des décisions qui peuvent faire d’un chef éclairé aussi bien un tyran qu’un faible.
C’est d’abord Henri V qu’on rencontre, au chevet de son père mourant. Il prendra sur ses épaules toute la charge royale, l’embrassant avec fierté, orgueil même, pour agrandir son royaume et le léguer à son tour à son fils, le très jeune Henri VI. Chrétien convaincu, et mis trop tôt sur le trône, celui-ci plie l’échine devant toute décision à prendre, préférant prier pendant que ses plus proches conseillers lui volent peu à peu tout pouvoir et dignité. C’est ainsi que le trône passe à la famille York, qui n’en profite guère puisque le plus jeune des frères, Richard, désœuvré sans guerre à mener, décide de tracer son chemin mortifère jusqu’à la couronne.
Malgré la multitude de personnages, de noms à retenir et de ramifications politiques et familiales, Kings of War est d’une grande clarté. La production prend soin de situer ses personnages sans empiéter sur l’histoire. Même la langue (le spectacle est présenté en néerlandais avec surtitres français et anglais) ne pose aucun problème de compréhension. L’interprétation des acteurs, la minutie de leurs gestes, regards et expressions abattent toute barrière. De fait, certaines scènes sont si limpides qu’on en oublie par moments de lire les surtitres!
À son habitude, Van Hove propose un spectacle centré sur l’humain, prenant le temps de poser chaque geste, chaque parole et même froncement de sourcil ou tremblement de lèvres, les propulsant sur grand écran, en gros plan, grâce à quelques caméras. Le public ne peut que mieux apprécier les jeux de domination, de manipulation et de vengeance des personnages shakespeariens. La distribution de 14 interprètes (en plus de cinq musiciens, dont un contreténor au chant pénétrant, et d’un vidéaste) livre une performance extrêmement juste et mesurée, ramenant toujours la figure du pouvoir à celle de l’humain tourmenté par ses pulsions et ses émotions.
Mais, disons-le, c’est par sa construction technique que le spectacle impressionne le plus. La scénographie participe pleinement à la force de Kings of War. La vidéo en direct, maintenant bien populaire sur nos scènes, mais parfois superflue, est ici superbement utilisée par Van Hove. La façon dont scène, salle et coulisses s’imbriquent l’un dans l’autre par la vidéo donne une dimension cinématographique à ce cycle sanglant. Comme il l’avait fait brillamment avec Les damnés, notamment, Van Hove offre des gros plans sur les visages de ses acteurs et actrices, parfois suintants, morveux ou même raidis par la mort. La caméra va parfois cueillir les personnages en coulisses et les accompagne en un seul plan jusqu’à leur entrée dans l’arène politique, ce qui la rend encore plus frappante. Avec une scénographie qui oppose ce qui se trame ou se tapie dans les antichambres du pouvoir (littéralement des couloirs blancs et immaculés aux allures de labyrinthe à l’arrière des décors), le metteur en scène déploie un univers de cauchemar, tantôt glacé par la mort, tantôt sale, bestial. Chaque fois, c’est une plongée dans l’intimité des personnages.
La production du Toneelgroep Amsterdam s’éloigne des champs de bataille pour mieux montrer les déchirements carnassiers qui jalonnent la trajectoire des leaders, mais aussi leur isolement, leurs failles et leurs forces. Kings of War offre une charge brutale, mais ô combien fascinante, contre cette histoire de prise de pouvoir qui semble se répéter inlassablement. Avec toujours, comme pour mieux nous hanter, l’image en plan serré de cette couronne tant convoitée, si attirante, scintillant de mille feux quand on la sait pourtant imbibée de sang.