Passé, présent, futur. Un fascinant voyage au cœur d’une mémoire qui se soulève, un dernier entretien entre morts et vivants. Une odyssée sur notre manière d’appréhender le temps.
Jeanne va mourir. Le temps de sa chute devient l’éternité. Son esprit se cabre, résiste. La fin s’éloigne, revient au galop. Se chevauchent des scènes du passé et du présent. Commence alors un fascinant voyage au cœur d’une mémoire qui se soulève. Un moment de théâtre unique signé par deux des plus grandes ambassadrices du théâtre québécois : Marie Brassard et Evelyne de la Chenelière.
Dans cette vertigineuse partition à cinq voix, l’ultime murmure, comme un ultime vacarme de la pensée, cherche une réponse aux bouleversements du monde. Dernier combat contre l’indifférence et l’assoupissement du regard, dernier duel entre le repli sur soi et le désir de l’autre, dernier entretien entre morts et vivants. Que faut-il donc croire, craindre ou espérer au cours de cette Vie utile ? Une odyssée résolument théâtrale sur notre manière d’appréhender le temps. Qui passe, inexorablement.
Texte Evelyne de la Chenelière
Mise en scène Marie Brassard
Interprétation Christine Beaulieu, Sophie Cadieux, Evelyne de la Chenelière, Louis Negin, Jules Roy Sicotte
Crédits supplémentaires et autres informations
Scénographie Antonin Sorel
Lumières Sonoyo Nishikawa
Musique et conception sonore Jonathan Parant
Réalisation film-vidéo Karl Lemieux
Intégration vidéo Guillaume Arseneault
Sonorisation Frédéric Auger
Costumes UNTTLD – José Manuel St-Jacques, Simon Bélanger
Maquillages et coiffures Angelo Barsetti
Assistance à la mise en scène Emanuelle Kirouac
Assistant décor et accessoires Alex Hercule Desjardins
Photo Marie Brassard
Durée 1h30
Rencontre après la représentation du 29 mai
Création au Théâtre ESPACE GO, Montréal, le 24 avril 2018
Un spectacle de ESPACE GO
Coproduction Festival TransAmériques en collaboration avec Infrarouge
Codiffusion ESPACE GO
De l'aveu même de son autrice, Evelyne de la Chenelière, La vie utile est un chantier. Un chantier d'écriture, un chantier qui sort de toutes les conventions classiques du théâtre. Un objet en mouvement, en paroles, qui brise l'espace-temps et le récit narratif continu pour nous emmener dans un univers unique, éclaté et hors des sentiers battus, littéralement.
Aboutissement de son chantier d'écriture (dont on peut voir des fragments à même les murs du hall de l'Espace Go) effectué pendant sa résidence au théâtre du boulevard Saint-Laurent, La vie utile, est, pour de la Chenelière, une « durée », c'est-à-dire un objet intemporel dans lequel se mélange plusieurs périodes de la vie son personnage, ainsi que plusieurs de ses personnalités. Marie Brassard, qui avait déjà dirigé la comédienne et autrice dans La Fureur de ce que je pense, s'est rapidement greffée au projet, y apportant sa gestuelle unique dans la mise en scène. Dans La vie utile, les mouvements passent de l'horizontal à la verticale ; une grande échelle traverse littéralement la scène. Cette dernière sera l'endroit de jeu de Sophie Cadieux, qui incarne le personnage plus jeune de la Chenelière, proposant un impressionnant jeu physique, en plus d'un texte au langage dense, poétique et intellectuel à la fois.
La jeune Jeanne (de la Chenelière et Sophie Cadieux), nommée ainsi par ses parents (Christine Beaulieu et Jules Roy Sicotte) en référence à Jeanne d'Arc, se remémore sa jeunesse, en implorant la mort elle-même, incarnée par Louis Negin, de prolonger sa vie. Jeanne imagine, quelques instants avant son trépas, ses parents encore vivants : une mère déconnectée de la réalité à la voix déformée qui tente de montrer un monde somme toute superficiel à sa fille et un père philosophe, amant de jeunes hommes. Elle imagine aussi une version adolescente d'elle-même, qui découvre la vie, et surtout, le sexe et l'érotisme. La mort, qui parle anglais, peut représenter à la fois l'ennemi, celui de la vie, mais aussi celui de la langue, questionnement récurrent dans cette pièce de la Chenelière. La jeunesse, l'éducation, le rapport au temps, à la nature, à l'érotisme, à la parentalité ; de nombreux sujets qui reviennent à travers les monologues des personnages, qui interagissent somme toute peu, laissant place à un discours unique. Celui-ci est rempli de références et d'énumérations rapides de concepts, de moments historiques, d'adjectifs. Ce processus de langage est fortement intéressant et révèle un véritable talent des comédiens à se remémorer autant de mots sans verbe, mais s’avère aussi trop présent, étourdissant parfois le spectateur. Il faut néanmoins admettre que l'écriture de la Chenelière et son interprétation force l'admiration et nous déconcerte, nous sortant, de façon assumée, de la zone de confort habituelle du théâtre. Audace et originalité décrivent bien La vie utile, malgré son côté cryptique et « inaccessible ».
Les personnages évoluent dans une magnifique scénographie (Antonin Sorel) qui mélange pièces domestiques et jardins, sur fond d'écrans qui projettent forêts, verdure et nuits et nous plongent dans un environnement quasi magique. Les vidéos de Karl Lemieux et leur intégration par Guillaume Arsenault méritent d'être soulignés, puisqu’ils deviennent pratiquement un personnage à part entière de La vie utile.
Il faut être en forme et dans un état d'esprit ouvert et demeurer très concentré pour entrer dans le mysticisme de La vie utile, mais, comme de la Chenelière le décrit si bien elle-même, « c'est plus qu'un texte, c'est une expérience », et on n'en sort pas indifférents, repensant à cet univers et à cette écriture uniques pendant plusieurs jours.