Il fait froid ce matin. Moins vingt-sept au mercure. Pendant que ses parents boivent du café et mangent des beignes dans un restaurant, Billy, quatre ans, est laissé seul dans la voiture. La maman d’Alice voit la scène. C’en est trop, elle décide de dénoncer ces parents négligents. Le père de Billy, quant à lui, compte bien dire ses quatre vérités à l’éducatrice en garderie de son garçon. Ailleurs, une autre femme attend depuis des mois l’installation d’un babillard sur le mur de son bureau. Elle en a assez. Ce matin, il n’est plus question d’endurer les injustices. Ce matin, ça hurle de partout.
Avec Billy, Fabien Cloutier fait déferler la vague d’une colère construite de toutes pièces par les préjugés et la méconnaissance des autres. Avec une langue qui égratigne et qui grince, Billy déploie sur scène un chiâlage habile et libre, à la fois jouissif et contagieux, tout en mettant en lumière nos aveuglements volontaires.
Assistance à la mise en scène Catherine La Frenière
Conception
Évelyne Paquette
Erwann Bernard
Marc Sénécal
Larsen Lupin
Une production du Théâtre du Grand jour
Dates antérieures (entre autres)
Du 30 avril au 19 mai 2012, La Licorne + tournée 2013
par Élisabeth Dugas
Alors qu’en temps normal j’ai une facilité innée à écrire les comptes rendus et critiques de mes couvertures, je me retrouve aujourd’hui dans une situation particulière. J’éprouve, pour cette présente critique, beaucoup de difficulté à prendre du recul pour bien analyser la pièce Billy (les jours de hurlement), présentée au Périscope jusqu’au 2 novembre prochain.
Lorsqu’une pièce contient dans son titre « les jours de hurlement » et que, dans le résumé, il est question de « vagues de colère » et de « chialage » autour de la thématique des préjugés et de la méconnaissance des autres, on peut déjà s’attendre à ce que ce ne soit de tout repos.
Malgré que le texte ait valu à son auteur, Fabien Couture, le prix Gratien-Gélinas en 2011, je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir quelques doutes. Je me suis demandé si cette production du Théâtre du Grand Jour réussirait à atteindre ses objectifs et qu’en tant que spectatrice, d’abord, puis comme critique, j’en retirerais quelque chose ou si je repartirais aux prises avec la désagréable impression d’avoir simplement assisté à une séance de défoulement contre la société québécoise.
Il y a de ces spectacles auxquels on assiste, qui nous bousculent et qui nous dérangent dans nos habitudes, dans nos croyances ou dans nos valeurs. Des spectacles que nous, critiques, avons tendance à qualifier de « coup de poing » et qui ramènent le caractère humain avant celui de journaliste. Dans le cas de Billy, l’image du coup de poing au visage me semble faible.
En seulement une heure, le spectateur est confronté à tous les préjugés qu’on retrouve au cœur de la société québécoise : « les maudits BS qui se font engraisser chez eux », « les fonctionnaires qui sont payés 75 000 $ par année pour être assis à un bureau », « le maudit système de santé déficient », etc. Aucun aspect du « système » n’est épargné dans ce portrait de société incisif, le tout enveloppé dans des touches d’humour très efficaces.
C’est dans une atmosphère blanche et épurée, avec seulement quelques chaises, un téléphone, une plateforme creusée avec une structure amovible à moitié vitrée et un luminaire imposant aux néons comme éléments de décor que la pièce prend forme.
La mise en scène, signée par Sylvain Bélanger, met parfaitement en valeur le texte de l’auteur, malgré la cacophonie qu’il impose. Pour toute la première partie, chacun des personnages prend place et le spectateur doit suivre trois monologues en simultanée, les répliques se chevauchant, se coupant, se complétant, sans contact direct entre les trois comédiens. Toutefois, après un certain moment, la mise en scène perd un peu de son effet de surprise. Ce flot constant de paroles devient quelque peu étourdissant et on commence à perdre des répliques, surtout lorsqu’on tente de se concentrer davantage sur un personnage. L’écoute n’a aucun répit. Le texte a visiblement été construit pour permettre une telle mise en scène, sauf que lorsque deux des personnages en viennent finalement à se confronter, le troisième passe malheureusement inaperçu jusqu’à la fin de l’affrontement. Ces facteurs peuvent être passablement dérangeants, mais pas assez pour empêcher quiconque de trouver l’ensemble de l’œuvre très réussi.
Les répliques, tranchantes comme la lame d’un couteau bien aiguisé, sont livrées par trois stéréotypes du citoyen moyen « la mémère », « le colon » et « la frustrée », qui se complaisent et se confortent dans cette vision négative de la société québécoise et dans leurs préjugés et jugements. Le texte étant d’une complexité élevée, avec toutes ces répliques entrecoupées, les risques d’accrochages étaient élevés, ce qui arriva à quelques occasions ; toutefois, les trois comédiens bien assortis, Louise Bombardier (une travailleuse dans la cinquantaine), Guillaume Cyr (le père de Billy) et Catherine Larochelle (la mère d’Alice) ont offert une très bonne prestation. Sans faute ni accrochage, Guillaume Cyr vole sans aucun doute la vedette à ses deux comparses avec une interprétation d’une solidité et d’une justesse remarquable. Il exécute son rôle avec brio dans chaque intention et chaque émotion.
Un autre élément intéressant, qui contribuait à soutenir la mise en scène de la pièce, était la formule thématique adoptée par l’organisation du théâtre du Périscope, en offrant crottes de fromage oranges et shooter de Jack Daniel’s à 2$, pour nous permettre de vivre l’expérience de Billy jusqu’au bout.
Même si j’ai aimé Billy (les jours de hurlement), j’en suis ressortie bouleversée, comme en état de choc. Je ne crois pas que c’est le genre de pièce qui peut convenir à tout le monde. Il faut être assez ouvert d’esprit et ne pas avoir peur d’être dérangé et confronté sans trop de tact. Toutefois, je considère que ce spectacle est l’un des incontournables de la saison de théâtre 2013-2014 à Québec.
par Pascale St-Onge
Billy (Les jours de hurlements), la plus récente pièce du Beauceron Fabien Cloutier qu'on a pu entendre en 2011 à Dramaturgies en Dialogue, et récipiendaire du prix Gratien-Gélinas de la même année, est monté à la Petite Licorne en ce printemps 2012. L'auteur ramène au premier plan l'individualisme qui l'emporte sur la société, le jugement facile des autres alors que ses personnages sont tout aussi responsables que ceux qu'ils accusent. Ici, chacun est animé par la haine de ceux qui abusent du système, de la bureaucratie, de ceux qui éduquent mal leurs enfants, de ceux qui ne font pas leur travail, du système de santé, etc.
Voilà une pièce qui décoiffe par sa langue crue, mais surtout par sa façon de ramener le spectateur sur terre. Fabien Cloutier met à l'épreuve le citoyen moyen, celui qui nourrit le système, le même système qu'il déteste et qu'il prend plaisir à dénoncer à qui veut bien l'entendre (ou non.). Trois personnages, parents et travailleurs de la classe moyenne, affrontent un lendemain de tempête de neige et un froid avoisinant les 30 sous zéro. Un matin difficile, l'occasion parfaite pour chialer sur tout et n'importe quoi, pour en avoir ras le bol et finalement, pour décider que c'est assez, qu'il faut que ça change.
Sylvain Bélanger a su mettre en valeur ce texte dans sa mise en scène, et ce, malgré les difficultés qu'il impose. Le texte propose, la majeure partie du temps, trois discours parallèles ; il devient ardu pour le spectateur de tous les suivre à la fois. Visiblement, ce travail est également difficile pour les comédiens qui semblent parfois se marcher sur les pieds dans ce petit espace bien investi par la mise en scène, mais surtout dans ce texte tissé serré. Guillaume Cyr, avec un personnage qui n'a pas la langue dans sa poche et qui surprend à chaque instant, vole la vedette de ce trio de comédiens bien choisi. Par contre, on s'interroge sur certains choix dramaturgiques : cette travailleuse dans la cinquantaine (Louise Bombardier, au jeu convaincant, mais parfois fragile) qui hurle contre la bureaucratie et les syndicats, bien qu'attachante, ne s'avère utile que dans les dernières minutes de la pièce, bouclant la boucle de la haine et du jugement qui a motivé toute l'action jusque-là. On arrive difficilement à l'identifier, à savoir qui elle est exactement.
Le décor tout de blanc, aux vitres battantes, évoque la tempête qui fait rage. Le minuscule espace transformable nous fait parfaitement oublier la petite salle de spectacle, sans cesse investie par les trois comédiens. L’installation de néons, qui couvre le plafond du fond de la scène jusqu’au public, rappelle celui qu'on a pu voir autrefois pour Félicité et 20 novembre.
Le rythme du texte est certainement une des grandes raisons de son succès. Par contre, certaines répliques, plutôt courtes généralement, viennent freiner ce rythme qui entraîne le public. Fabien Cloutier nous piège bien : par sa façon de jouer avec la langue et l'humour qui s'en dégage, il en vient au spectateur d'être confronté à ce qu'il n'a pas vu venir. Il rit de ce qu'il dénoncerait lui-même, de ce qui le choque. Ceux en qui nous avions d'abord confiance deviennent ce qu'ils jugeaient inacceptable. Comme quoi la négligence peut arriver à tout le monde. À qui la faute? C'est cette question sans cesse posée par les personnages qui demeurera sans réponse finalement, car c'est à la collectivité que revient la responsabilité dont tout le monde cherche à se défaire : celle d'être citoyen.
Billy (les jours de hurlement) est une pièce coup-de-poing, sans pour autant s'alourdir des malheurs et des tragédies qu'elle raconte. Bien au contraire, l'humour est autant au rendez-vous que la consternation pour le spectateur qui voudra bien aller profiter de ce superbe texte presque trop court (à peine plus d'une heure). Un spectacle à ne pas manquer, si vous n'avez pas peur d'être confronté d'aussi proche à notre société québécoise.