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Du 10 au 28 mars 2015, mardi et mercredi à 19 h, jeudi au samedi à 20 h,
DisparaitreDisparaître ici
16 ans et + public averti
Texte, idée originale et mise en scène Jocelyn Pelletier et Édith Patenaude
Adaptation librement inspirée de l’oeuvre de Bret Easton Ellis
Avec Caroline B. Boudreau, Philippe Durocher, Gabriel Fournier, Laurie-Ève Gagnon, Marie-Hélène Lalande, Joanie Lehoux, Valérie Marquis, Guillaume Perreault, Lucien Ratio, Alexandrine Warren

Fouiller. Décortiquer. Nous approprier. Sombrer dans l’œuvre de Bret Easton Ellis. Probablement le plus noir, le plus lucide, le plus pessimiste des auteurs contemporains américains. Son œuvre est fabriquée de la même matière qui se distille d’un roman à l’autre, les personnages passent et repassent, continuent à étendre l’insignifiance de leur vie à travers les histoires de leur auteur. Les mêmes thèmes reviennent, les mêmes motifs, hypnotiques. Des moteurs incroyablement puissants grondent au cœur de cette œuvre dangereuse. Critique ultime de l’Amérique.

Conscientes du péril qui les attend, mais attirées comme des mouches par le feu, mues par leur désir d’autodestruction générationnel, les compagnies tectoniK_ et Les écornifleuses ont décidé de se perdre dans l’oeuvre de Bret Easton Ellis. Probablement le plus noir, le plus lucide, le plus pessimiste des auteurs contemporains américains.

Les interprètes éclateront les codes, seront autofictifs, performatifs, témoins, choeurs, dialogues, cris, reflets, metteurs en scène sur scène. Happés par la frénésie, la fiction, la fatigue, l’angoisse, la vacuité de notre monde, ils disparaîtront ici.


Conception Jean-François Labbé, Karine Mecteau-Bouchard,Mykalle Josha

Aussi à Montréal à La Chapelle du 31 mars au 4 avril 2015

Production et direction artistique
tectoniK_
Les Écornifleuses
Théâtre Périscope
2, rue Crémazie Est
Billetterie : 418-529-2183

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 Critique
Critique

par David Lefebvre


Crédit photo : Charles Fleury

Controversé, critiqué, acclamé, l’auteur américain Bret Easton Ellis ne laisse personne indifférent. Sa bibliographie est pour le moins impressionnante, comptant Moins que zéro (Less Than Zero – sa première nouvelle publiée à 21 ans), Les lois de l’attraction (The Rules of Attraction), American Psycho, Zombies (The Informers) et Lunar Park. Ses œuvres dystopiques, qui s’inscrivent totalement dans le mouvement de la Génération X, mettent habituellement en scène des personnages récurrents, souvent jeunes, à l’aise financièrement, mais débauchés, immoraux, qui assument entièrement leur état. L’expression « sexe, drogue et rock n’ roll » prend un sens lourd et très à propos dans sa littérature.

Radicale et cruelle, la nouvelle création de Jocelyn Pelletier et Édith Patenaude porte un regard implacable sur certains membres de notre société qui se vautre dans un individualisme malsain, à l’ère des réseaux sociaux, et ce, par l’entremise de l’œuvre d’Easton Ellis, mais de manière exacerbée, voire « sur l’acide ». On suit, dans Disparaître ici, une dizaine de jeunes adultes, soumis à leurs pulsions sexuelles, qui tentent sans succès de donner un sens à leur existence insignifiante dans et par le regard de l’Autre. Ils recherchent sans cesse les sensations fortes à travers le sexe, la drogue, la fête et un certain contrôle qu’ils croient maintenir sur les événements et les personnes autour d’eux. Mais ils ne sont que narcissisme, égocentrisme, névrose, jusqu’à espérer devenir le spectateur de leur propre vie. Parce que tout est spectacle.

Au travers de tableaux plus ou moins courts, le spectateur plonge dans leur univers décalé, violent et sans censure, grâce à des monologues intérieurs qui remplacent en grande partie les dialogues classiques. Ces voix, toujours dirigées vers le public, s’entremêlent et se juxtaposent parfois, donnant directement accès à leur conscience. Les pensées et les échanges tournent essentiellement autour du sexe, des fantasmes, de ce qui est acceptable ou non, de ce que tout le monde semble faire. On se compare, on emprunte, on veut être au-dessus de tout le monde en faisant la même chose ou son contraire. L’écriture de Pelletier et Patenaude est cinglante, cynique, et dénonce toute la superficialité décadente qui touche autant la Génération X, Y que Z. L’humour trash et réaliste, abordant les interactions entre individus de manière réelle ou virtuelle - Facebook, Twitter et Instagram sont largement évoqués -, ainsi que leurs réactions, parle expressément aux vingt-trente ans.

La grande force de la pièce est sans contredit sa mise en scène. Éclatée, rythmée, audacieuse, elle utilise magnifiquement bien l’espace de jeu, rendant souvent l’insoutenable très esthétique. Quelques scènes sont même saisissantes, comme ce trip à trois décrit par un homme, alors que deux autres acteurs prennent des poses de yoga, ou la performance d'une artiste en art visuel qui simule, avec de la peinture blanche puis rouge, la jouissance et la douleur. La scénographie s’inspire d’American Psycho avec ses grandes bâches translucides suspendues, tels des murs de plastique qu’on arrache du plafond pour démontrer la perdition de plus en plus grandissante des personnages. Des colonnes aux murs transparents sont érigées de chaque côté de la scène, dans lesquelles prennent place les acteurs, pour danser ou simuler la torture. Avec une savante utilisation de la lumière, on réussit à créer un visuel absolument splendide. La musique, de Nirvana à Wham !, en passant par le classique, colle parfaitement au propos. Les acteurs, Caroline B. Boudreau, Philippe Durocher, Gabriel Fournier, Laurie-Ève Gagnon, Marie-Hélène Lalande, Joanie Lehoux, Valérie Marquis, Guillaume Perreault, Lucien Ratio et Alexandrine Warren, mordent dans un texte choral, sans concession, et sombrent ensemble dans une autodestruction sans même regarder en arrière. Si les hommes ont tout de même une prestance différente, les filles sont, quant à elles, interchangeables : vêtements, corps et cheveux, coupe et couleur, sont similaires.


Crédit photo : Charles Fleury

La première partie, assez dense, s’intéresse davantage aux histoires individuelles, sans autre fil conducteur que leur vie de débauche. La deuxième partie, à certains égards supérieure à la première, essaie de ramener les personnages autour d’un événement déclencheur précis, un snuff movie, mais de façon relativement maladroite. À la narration atypique qui aurait pu se satisfaire à elle-même, on tente d’incorporer une histoire (fantasmée ou réelle) d’enfants de politicien qui semblent avoir besoin de protection – ou d’une nounou pour nettoyer les frasques perverses derrière eux – devenant même le point central de la dernière scène. Trop peu, trop tard : il nous manque trop d’informations pour se soucier concrètement de ce fait, rendant la finale abstraite et anodine. Même le chaos a parfois besoin de cohérence.

Par contre, tous ces monologues très individualistes dépassent l’hypnotisme pour atteindre un effet de redondance. Le spectateur peut aller jusqu’à développer une certaine indifférence envers les personnages, causée par une banalisation des situations qui lui sont proposées, de la plus simple (une scène de drague) à la plus crue (scène de sexe explicite ou de torture). Si une partie de l’objectif de la pièce réside en la naissance de ce sentiment, pour l'exposer, elle est une arme à deux tranchants : être indifférent au drame ou aux personnages au théâtre, c’est meurtrier.

Disparaître ici est une expression qui revient souvent durant la lecture de Less Than Zero, et s’applique totalement au propos de la pièce. D'ailleurs, les amateurs du romancier trouveront plusieurs clins d'oeil de la sorte, comme le nom donné à l'un des personnages, Patrick Bateman, ou à une rue, Lunar Park. Malgré ses quelques points faibles au cœur du récit et sa trop longue durée – deux heures quarante-cinq minutes, avec entracte – Disparaître ici est une œuvre coup-de-poing, bien ancrée dans son époque, qui pourrait faire sourciller quelques âmes sensibles ou pudiques.

14-03-2015