Ceci est l’histoire rocambolesque de Christian E., acteur de son propre récit; Christian E., dont l’enfance est enracinée dans le petit et irréductible village de McKendrick, au nord du Nouveau-Brunswick. Ce paradis perdu, où les voisins sont des personnages plus grands que nature, où tous les mauvais coups sont permis, là où l’imaginaire de notre Acadien prend son appui pour fabriquer les héros de sa vie.
Christian E. nous raconte ses « déportations volontaires » qui l’amèneront à l’aut’bout du monde. De ses vies inventées au pays de l’enfance, il passe à celle plus concrète d’un étudiant de théâtre à Moncton, puis au quotidien fictif de Tom Pouce au Pays de La Sagouine, pour se retrouver au milieu d’un Montréal à apprivoiser.
Une histoire d’exils et de passages, où défi le toute une galerie de personnages, comme autant de variations sur une même identité.
- Philippe Soldevila et Christian Essiambre
Assistance à la création Alexandre Fecteau
Éclairages Marc Paulin
Collaboration artistique Marcia Babineau, Christian Fontaine, Pascal Robitaille
Production Théâtre l'Escaouette
Théâtre Sortie de Secours
par Daphné Bathalon (Montréal, 2013)
Après avoir été présentée en Acadie en 2010 et en 2011 à Québec, Les trois exils de Christian E., une coproduction du Théâtre Sortie de secours et du Théâtre de l’Escaouette, fait escale au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 2 février. C’est l’occasion pour les Montréalais de découvrir deux artistes de talent.
L’excellence du spectacle tient avant tout à la force du personnage incarné par Christian Essiambre, qui, avec ses mots et ceux de l’auteur et metteur en scène Philippe Soldevila, nous raconte sa propre histoire. Une histoire vraie, nous dit-on, « malgré les coins ronds »; les deux auteurs ayant fait le choix de broder sur les faits ou de les réorganiser pour rendre le récit encore plus passionnant.
Dans la bouche de Christian Essiambre, seul sur une scène sans décor, les mots se bousculent : souvenirs et anecdotes se télescopent à un rythme soutenu. Ils ne laissent pas une seule seconde aux spectateurs pour souffler, et c’est tant mieux. Le comédien a un réel talent pour le conte; en un instant, le public est catapulté dans le quotidien de cet Acadien en exil à Montréal, une grande ville froide où les gens ne se regardent pas et se parlent encore moins. Les mois passent pour Christian E., entre les séances de jeux en ligne, les cours de mime et les leçons de diction pour gommer cet accent qui l’empêche de trouver des rôles. Christian commence à regretter son départ pour Montréal et ce qu’il a laissé derrière lui. Il nous dépeint son Acadie natale avec tant d’affection, une affection teintée d’humour, qu’on ne peut qu’en tomber amoureux.
Essiambre incarne avec une aisance toute naturelle une galerie de personnages colorés, féminins ou masculins, allant de sa propre mère à la Sagouine en passant par chacun de ses trois cousins, nés à quelques jours d’intervalle et dont il était très proche. Le conteur passe d’un souvenir à l’autre, en rejouant les scènes avec un excellent sens du rythme, alternant flashbacks et temps présent. Ce télescopage contrôlé de souvenirs déroute pendant les premières minutes, puis les pièces du casse-tête se mettent en place et, dès lors, il ne reste plus qu’à se laisser emporter dans ce roadtrip identitaire qui nous transporte de Montréal à Moncton en moins de 80 minutes. Un voyage intense.
Parce que c’est son histoire qu’il nous raconte si généreusement, Essiambre n’a besoin d’aucun support pour planter son décor. Et pourtant, on imagine sans mal les paysages qui défilent de part et d’autre de la route; le village de McKendrick, comme suspendu au-dessus des nuages; le lac, et la forêt immense qui a avalé une partie de l’enfance de Christian E... Avec pour seul accessoire une chaise de bois, l’acteur fait des merveilles, évoquant les moments déterminants de sa vie. C’est un tourbillon d’émotions que Christian Essiambre maîtrise parfaitement, versant tantôt dans l’humour tantôt dans un drame plus intérieur. Sa prestation dans Les trois exils lui a d’ailleurs valu en 2012 le Prix de la critique dans la catégorie Interprétation masculine (section Québec).
Le texte signé à quatre mains vibre de tous les personnages qui l’habitent et des petits et grands drames qui le jalonnent. Ses auteurs portent sur les sociétés québécoise et acadienne un regard perçant et juste, mais surtout, ils traitent de l’importance de ne pas oublier d’où l’on vient et ce qui a façonné notre identité. Trois exils, un solo redoutablement efficace et un conteur remarquable.
par Sylvie Isabelle (Québec, 2011)
Quand la fuite en avant nous rattrape
La plus récente production du Théâtre Sortie de Secours, encore une fois en collaboration avec le Théâtre l’Escaouette, reprend des thèmes qui lui sont chers : l’identité, la langue, l’exil et la quête de soi. Cette fois-ci, le tout est empreint d’une sincérité rarement vue. Seul sur scène, Christian Essiambre nous livre le récit de ses exils. En introduction lors de cette soirée de première, le metteur en scène et coauteur, Philippe Soldevila, a qualifié la pièce de biographique : Essiambre se raconte à nous avec tant d’authenticité et de candeur qu’on le croit, du début à la fin, dans ses moindres péripéties.
Christian E., un Acadien né à McKendrick, un petit village au nord du Nouveau-Brunswick, végète doucement à Montréal, dans son demi sous-sol. Il va d’une audition à l’autre, en espérant le grand rôle dont il rêve tant et pour lequel il a quitté son Acadie natale. Un coup de fil de sa mère le ramène au pays de son enfance, où il devra confronter ses choix et son destin, intimement lié à celui de ses trois cousins, nés dans la même semaine que lui.
Le public de Québec a pu suivre l’évolution de ce projet : tout d’abord lors du dévoilement de la saison 2010-2011 de la saison du Périscope, où on nous avait offert la première partie de la pièce. L’humour décapant et le magnétisme de Christian Essiambre étaient déjà bien apparents. Puis, à l’occasion d’un Chantier lors du Carrefour de théâtre de Québec 2010, on nous avait offert une portion plus dramatique qui laissait deviner la portée tragique du récit. Le produit fini tient ses promesses : l’écriture agile, la narration habilement déconstruite et la présence unique de Christian Essiambre nous tiennent en haleine d’un bout à l’autre de la performance. Seul sur scène, le comédien tient la pièce sur ses épaules… et les spectateurs au creux de sa main. Un véritable tour de force!
Sous des airs de road movie acadien, on le suit à travers le Nouveau-Brunswick, du nord au sud. On rencontre sa famille, ses amis, on visite McKendrick, Bouctouche, le Village de la Sagouine, Moncton… Avec une chaise pour tout accessoire, sans jeu d’éclairage et à peine quelques effets sonores, Essiambre donne vie à ses souvenirs grâce à son formidable talent de conteur : il valse d’un accent à l’autre, d’un personnage à l’autre, et parle d’un bout à l’autre de la pièce sans jamais perdre le contact avec la salle. Souvent, un seul mot dans une phrase lui sert de pivot pour nous faire passer d’une scène à l’autre, sans crier gare. Tour à tour frondeur, nostalgique, désespéré puis serein, il nous entraîne dans un vaste examen de conscience. Un drame familial qu’on découvre petit à petit, avec des flashbacks adroitement insérés, l’amène à prendre conscience de ses exils. Son éternelle fuite en avant le rattrape et le force à prendre pied dans le présent.
La collaboration entre Soldevila et Essiambre donne lieu à une pièce riche en émotions qui nous fait passer du rire aux larmes. La première partie, absolument hilarante, détonne un peu du reste du déroulement qui vient vraiment nous émouvoir : toutefois, sans même qu’on s’en rende compte, ces pitreries permettent à Essiambre d’établir une complicité avec le public et de l’entraîner à sa suite. La rencontre entre l’écriture maîtrisée de Soldevila et l’énergie brute d’Essiambre donne vie à un vrai bijou, empreint de générosité, de lucidité et d’humilité, qui vient se positionner comme l’une, sinon la meilleure pièce présentée cette saison-ci à Québec.