Un théâtre ambulant abandonné, au début du XXe siècle. Dans la pénombre, des boîtes empilées un peu partout. Une jeune femme entre, guidée par une lanterne. Elle regarde les boîtes, en ouvre quelques-unes, nostalgique. Elle découvre dans l'une d'elles le vieux cinématographe de son père. Une bobine de film y est encore installée. Elle démarre l'appareil... et de l'image surgit un diablotin moqueur, qui l'entraîne dans la vie de Georges Méliès.
Magicien, décorateur, réalisateur et comédien, rien n’arrêtait Georges Méliès dans son insatiable soif de faire naître l’impossible, le rêve, le merveilleux. Fascinés par sa vie, son oeuvre et l’esthétique de ses films, le Théâtre Motus et le Théâtre Pupulus Mordicus (qui nous a donné le magnifique Cabaret Gainsbourg) proposent une incursion dans l’univers de ce grand cinéaste du début du XXe siècle.
Non pas une biographie ou un hommage, mais un regard amusé et curieux sur son incroyable enthousiasme créatif face à la révolution technologique de son époque. Dans un esprit fidèle à l’oeuvre du grand maître, marionnettes, illusions théâtrales, vidéo, jeux d’ombre et machines imaginaires redonnent vie à Méliès et à son joyeux délire onirique.
Section vidéo
Idée originale
Martin Genest
Illusions
Philippe Beau
Assistance à la mise en scène
Katia Talbot
Décors
Marie-Renée
Bourget Harvey
Marionnettes
Pierre Robitaille
Ombres
Marcelle Hudon
Costumes
Sébastien Dionne
Éclairages
Thomas Godefroid
Musique
Jean-Pierre Lambert
Conseiller magie et illusions
Philippe Beau
Vidéo
Frédéric St-Hilaire
Production Festival Marionnettissimo
Théâtre Motus
Théâtre Pupulus Mordicus
par David Lefebvre
La collaboration entre le Théâtre Motus, à qui l’on doit plusieurs grands succès pour jeune public dont Élisapie, Luna et Baobab, et le Théâtre Pupulus Mordicus - qui n’a pas entendu parler de son magnifique Cabaret Gainsbourg, en plus des Enrobantes qui fut repris au Trident au printemps 2013? - était immensément prometteuse. Initialement proposé par Martin Genest, c’est le pionnier du cinéma fantastique, le père des tout premiers effets spéciaux, effets qui s’avèrent encore aujourd’hui souvent saisissants (l’alunissage dans Le voyage dans la Lune et son Gulliver restent à ce jour des références inéluctables), soit le grand Georges Méliès, qui s’impose comme sujet principal de ce projet commun.
C’est par l’entremise d’Helena (Mathilde Addy-Laird), fille du maître forain et homme-tronc Nikolaï Kobelkoff, que l’on pénètre dans l’univers de cet homme à l’imagination débordante. Maintenant propriétaire du vieux théâtre de son père, décédé, elle fouille dans les malles et les décors poussiéreux ; un voyage au cœur de sa propre mémoire. En tombant sur un vieux kinétoscope (ancêtre de la caméra, qui fait aussi office de projecteur), elle découvre une bobine encore enroulée dans la machine, d’où jaillira littéralement le personnage fétiche de Méliès, le diable Méphisto. Ensemble, ils plongeront dans l’œuvre et la vie de ce grand créateur.
Méliès semble retrouver, ces derniers temps, la place qui lui est due dans l’imaginaire collectif – Martin Scorsese a réalisé l’adaptation du livre L’invention de Hugo Cabret, de Brian Selznick, mettant en vedette un Méliès anonyme vendant des jouets à la gare Montparnasse, et Robert Lepage l’a placé au centre de sa pièce Jeux de cartes – Cœur, avec Robert Houdin et Félix Nadar. L’auteure Hélène Ducharme réinvente à son tour la vie de cet homme extraordinaire, tout en restant relativement fidèle à plusieurs vérités historiques. Pourtant, il faut creuser sous cette histoire faussement biographique pour y trouver les réels enjeux de la pièce : Ducharme en profite pour aborder à travers Méliès, avec finesse et justesse, des thèmes intemporels, comme la création, l’immortalité par l’art, la reconnaissance que cherche l’artiste, ou encore très actuels, comme les brevets, les copies d’œuvres et le droit d’auteur.
La mise en scène à quatre mains d’Hélène Ducharme et de Pierre Robitaille est inspirée, empreinte d’onirisme et surprenante, mais reste relativement douce. La création aurait pu sombrer dans la surenchère d’effets, mais elle arrive, malgré le nombre impressionnant de techniques scéniques utilisées, à garder une simplicité et un équilibre étonnants, tout en multipliant les clins d’oeil. De la projection d’images en direct (ou préalablement tournées) aux ombres chinoises (sous la supervision de Marcelle Hudon), de la marionnette au jeu d’acteur, et parfois un amalgame de tout cela, la pièce rend hommage à Méliès de belle façon, tout en faisant découvrir aux néophytes l’apport de cet homme au septième art. Peu d’accessoires encombrent la scène, si ce n’est que quelques malles qui recèlent de petits trésors. Pourtant, quand s’activent les projections, la scène devient écran : d’abord petit, reproduisant sur un rideau en fond de scène les images captées à l'intérieur du kinétographe par une minuscule caméra numérique. Le ventre de la caméra antique devient ainsi théâtre lilliputien, puis castelet-studio. L'écran investit ensuite la scène, le cinéma devenant vivant, alors que la jeune Helena entre à son tour dans le film et découvre avec stupéfaction les coulisses du premier studio de cinéma qui appartenait à Méliès. Une incursion qui mène à la scène la plus fantaisiste de Méphisto Méliès, où l’on se promène en objet volant, de Paris à Londres en passant par New York, puis dans les fonds marins, pourchassé par un poisson gigantesque aux dents acérées. Les marionnettes de Pierre Robitaille sont encore une fois superbes ; mentionnons celle du père Kobelkoff, manipulée par Louis Tremblay, et les sœurs siamoises, un costume-marionnette remarquable, enfilée par une Mathilde Addy-Laird enjôleuse, à l'opposé de sa demoiselle bien tenue et sympathique Helene. Patrick Ouellet, sous la barbichette de Méliès ou derrière les marionnettes à différentes échelles de Méphisto, rend les personnages absolument attachants. La scène finale, très touchante, où Helena retrouve un Méliès à l’hiver de sa vie, est d’une grande tendresse.
Malgré quelques longueurs dans le récit et des transitions un peu longues, spécifiquement vers la fin de la représentation, la coproduction Méphisto Méliès, créée en collaboration et en ouverture du festival Marionnettissimo, est amusante, offre un niveau de jeu juste et une manipulation des marionnettes impeccable de la part des trois interprètes et aborde avec beaucoup de respect l’artiste visionnaire qu’était Méliès.