Grace : foi.
Foi en soi, en l'autre, en la vie, en rien du tout.
Le Théâtre des Miettes dans la Caboche et le Théâtre Dream Team sont soucieux de faire des spectacles qui ne s'expliquent pas en mille mots, qui ne cherchent pas à plaider leur actualité, mais qui l'incarnent. En ce sens, GRACE dépeint une société où les possessions sont maîtresses de tout et où l'humain ne sait plus à quel saint se vouer, une société où les relations sont interchangeables, renouvelables, et trop souvent destinées à la performance, et où des personnages s'allient et se déchirent au gré de leur foi et de l'absence de celle-ci.
GRACE dresse le portrait d’êtres en quête de sens; parce qu'ils l'ont perdu, parce qu'ils ne l'ont jamais trouvé, parce qu'ils n'y croient plus. Entre le couple qui tente de refaire sa vie dans l'immobilier et leur voisin qui cherche l'espoir perdu se créent des liens, ainsi que des interrogations bien plus grandes encore que celles qui les tenaillent déjà. En quoi croire? À quoi s'accrocher lorsque tout semble perdu?
Appui dramaturgique Marie-Josée Bastien
Assistance à la mise en scène Élizabeth Cordeau-Rancourt
Conception Karine Mecteau Bouchard et Jean-François Labbé
Direction du projet Charles-Etienne Beaulne et Joëlle Bourdon
Coproduction Théâtre des Miettes dans la Caboche et Théâtre Dream Team
L’auteur américain et ancien méthodiste Craig Wright (Six Feet Under, Lost, Dirty Sex Money) explore, avec sa pièce Grace (2004), la foi aveugle et inébranlable chez certains, la mort ou l’absence de Dieu chez d’autres et la quête de sens chez des êtres illuminés ou blessés.
Steve et sa femme Sara partent du Minnesota pour s’installer en Floride. Fort d’une idée qu’il sait extraordinaire, Steve trouve des investisseurs suisses qui lui promettent neuf millions pour bâtir une chaîne hôtelière basée sur la foi : The Crossroads Inn. Parce que, comme le slogan le dit, s’il était ici, où Jésus resterait-il? Mais l’argent ne vient pas ; Steve se tourne vers le nouvel ami de Sara, leur voisin Sam, ancien scientifique de la NASA reclus après un accident de voiture qui lui a volé sa fiancée et qui l’a défiguré. Vide, désemparé, Sam verra pourtant la lumière en Sara, une lumière pourtant interdite. Souffrant de démangeaisons inexpliquées le rendant un peu plus fou chaque jour, voyant sa femme, sa vie et ses rêves lui échapper, Steve s’apprête à commettre l’irréparable.
Existence de Dieu, intervention divine ou destin, choix des hommes contre hasard, idéologies religieuses contre raison : sans juger, mais avec un certain parti pris, Wright pose plusieurs questions sérieuses et somme toute profondes au travers des personnages de cette comédie dramatique présentée Off Broadway il y a quelques années. La pièce commence de manière coup-de-poing, nous montrant à rebours la dernière scène de la pièce. Captant totalement notre attention – et pour cause ! –, elle semble imparable, fatale, sanglante, même si au milieu du discours à l’envers on capte le désir de revenir en arrière et de recommencer à zéro, ce que la pièce fait, en quelque sorte.
Dans un décor unique (Sonia Pagé), soit le salon et la salle à manger d’un logement abordable, Sam, Sara et Steve partagent le même espace, tout en étant chacun chez soi. Du coup, le rythme est toujours soutenu, puisqu’aucun changement de décor ou transition ne vient briser le dynamisme du jeu des comédiens. De plus, la superposition des lieux permet la juxtaposition des émotions et la connexion entre les personnages, comme ce moment où Sam et Sara se regardent amoureusement alors qu’entre les deux, assis un étage plus bas, Steve tente de se suicider, un révolver dans la bouche.
Joëlle Bourdon offre une Sara attachante, d’une grande simplicité. Une femme qui désire avoir des enfants, un projet mis sur la glace, et qui arrive à voir, malgré le péché, l’œuvre de Dieu dans sa rencontre avec Sam. De sa voix basse et son tempérament nonchalant, Emmanuel Bédard fait bien ressortir le côté vide, penaud, de ce Sam qui a tout perdu, jusqu’à une partie de son visage, de son identité. Par contre, on sent peu sa colère, son sentiment de contrariété face à sa condition, que certaines scènes auraient pu laisser miroiter. Du coup, la scène pourtant touchante, où il entreprend un cheminement spirituel menant vers le pardon, grâce à Sara, aurait pu être encore plus forte, plus sentie.
Nicolas Létourneau convainc l'auditoire en homme totalement dévoué à sa vision immobilière et à sa foi, qu’il croit inébranlable. Il s’avère ainsi être un excellent vendeur de rêves – jusqu’à se croire lui-même. Par contre, le comédien arrive à maintenir un équilibre plus ou moins précaire entre l’humour et le drame chez son personnage, même si sa performance demeure en tout point solide. Jacques Leblanc, dans un rôle un peu plus effacé, mais essentiel, interprète un vieil exterminateur allemand qui s’occupe des logements de l’immeuble. Racontant les atrocités de la Deuxième Guerre auxquelles il a malgré lui participé, blessant sans pardon son premier amour, il est celui qui réplique à Steve qu’il n’existe pas de Dieu, pas de Jésus. Pourtant, il incarnera un bref moment un salut possible, alors qu’il arrive sans crier gare lors de l’altercation finale et qu’il propose indirectement une issue à Steve. Intervention divine ou destin, la fureur de Steve bravera tous les signes pour prouver que plus rien n’a de sens – enlevant le peu d’espoir qu’auraient pu garder certains spectateurs. Si cette décision de Steve peut s’avérer illogique lors de la pièce, elle prend son sens après la tombée du rideau, alors qu’on réfléchit à l’inévitabilité des événements.
Malgré son titre, Grace offre une histoire implacable qui n’obtient aucune aide surnaturelle ou divine. Si la production ne creuse peut-être pas toutes les questions du texte par quelques subtilités de jeu ou de mise en scène et n’est pas aussi haletante que la scène d’ouverture voulait bien le suggérer, cette version de Grace, sans être mémorable, demeure tout à fait divertissante et offre quelques scènes percutantes.