Dans un monde où tout s'exprime en 140 caractères et où l'instantané a pris le dessus sur la réflexion, Christian Lapointe rend hommage à la parole forte de Yves Sauvageau, artiste de la démesure, génie tourmenté et homme de théâtre avant-gardiste. Il nous propulse dans un dialogue entre l’auteur de 24 ans à la veille de se donner la mort dans les années 70 et l’auteur à l’âge qu’il aurait aujourd’hui.
Ce dialogue imaginé entre Yves Sauvageau et lui-même à partir des textes de fiction qu’il a écrit permet de revisiter un grand oublié du répertoire québécois, en l’actualisant sans le trahir. À l'avant-plan : le rapport trouble qu'entretient un artiste avec lui-même et la société qui l'entoure. Un travail d'écriture débridé qui place l'auteur au centre du système.
En filigrane : Wouf wouf. Cette pièce ayant soulevé les passions en 1969 dépeint l'ultime logique de l'univers fiévreux des adolescents éperdus d'amour et d'absolu qui peuplaient les premières pièces d'Yves Sauvageau, comme Les mûres de Pierre ou Je ne veux pas rentrer chez moi, maman m'attend. Ce texte allait propulser le théâtre québécois dans un imaginaire extraordinairement libre.
Section vidéo
Dramaturgie Marie-Claude Verdier
Assistance à la mise en scène Alexandra Sutto
Musique David Giguère
Direction artistique Sylvain Bélanger
Jean Hazel Christian Lapointe
Vidéo Lionel Arnould
Décor Jeau-François Labbé
Costumes Virginie Leclerc
Lumières Sonoyo Nishikawa
Archiviste de Sauvageau Raymond-Louis Laquerre
Sera aussi présenté au Centre du Théâtre d'Aujourd'hui du 22 septembre au 10 octobre 2015
Coproduction Centre du Théâtre d'Aujourd'hui et Théâtre Blanc
Christian Lapointe est reconnu surtout pour ses propositions théâtrales non conventionnelles, toujours éclatées. Lorsqu’on se présente à l’un de ses spectacles, il ne faut surtout pas s’attendre à assister à de la commedia dell’arte ou encore à un drame épique shakespearien (quoique, sait-on jamais!). Il signe une fois de plus une production hors-norme avec Sauvageau Sauvageau, une sorte de création hybride entre documentaire et pièce de théâtre présentée au Théâtre Périscope.
Il est question ici d’Yves Hébert, mieux connu sous le nom d’Yves Sauvageau ou encore Sauvageau Sauvageau pour les intimes. L’homme de théâtre a quitté la scène artistique québécoise à 24 ans seulement, de façon abrupte et sans avertissement — ou peut-être y en avait-il eu et c’est entre autres ce que Lapointe tentera d’analyser dans le spectacle — en mettant fin à ses jours en pleine crise d’Octobre 70.
Sauvageau Sauvageau met en scène le dialogue entre l’Yves Sauvageau de 24 ans, soit celui de l’année de sa mort, et celui qu’il serait devenu aujourd’hui s’il était encore vivant. Le rôle du plus vieux des Sauvageau est joué par Paul Savoie qui a exactement l’âge qu’aurait Yves Hébert aujourd’hui, puisqu’il est né la même année que ce dernier, soit en 1946. Celui du jeune Sauvageau est assuré par Gabriel Szabo, solide dans son rôle, bien qu’on soit plus proche de la déclamation que du jeu. On peut parier que Lapointe a beaucoup à y jouer dans sa direction d’acteurs, lui qui nous a accoutumé à pareil style lors de ses plus récentes productions. On retrouve d’ailleurs certains codes auxquels il nous a habitués, comme certaines chorégraphies qui accompagnent le texte des acteurs.
Tous les dialogues ont été agencés par Christian Lapointe à partir de l’œuvre et des mots de Sauvageau, cueillis à même ses textes, ses cahiers de notes et ses carnets personnels. Réagencés, ses mots prennent un sens différent, formant un dialogue fictif entre les deux Sauvageau, qui, loin de tomber dans la facilité d’un jeune suicidé se faisant faire la morale par celui qu’il serait devenu s’il n’était pas passé aux actes, devient plutôt une conversation sur le malaise profond, le mal de vivre qui habitait ce jeune comédien et dont l’origine se retrouve ancrée dans les mécanismes d’une société gérée par un conformisme latent tributaire d’un peut-être trop grand héritage clérical.
Lapointe est allé puiser dans les archives de plusieurs médias afin de nous replonger dans les instants suivant la mort de Sauvageau. On peut entendre ainsi, entre autres, Gaétan Labrèche, Jean-Louis Millette, Jean-Pierre Ronfard et Jean-Louis Roux tour à tour évoquer leurs souvenirs de ce grand gaillard rencontré dans l’enceinte de l’École nationale de Théâtre ou encore au TNM. Des souvenirs marqués par le talent et l’impact qu’aurait dû avoir ce jeune créateur d’exception qui nous a quittés, comme plusieurs d’autres de sa génération, beaucoup trop tôt ; pensons à Claude Gauvreau, Huguette Gaulin (Christian Lapointe lui avait dédié sa pièce C.H.S en 2007) ou encore Hubert Aquin.
Sauvageau Sauvageau permet non seulement de connaître un peu mieux le créateur de Wouf-Wouf, mais amène une perspective intéressante à ses écritures, permettant d’apprécier avec une acuité nouvelle la critique sociale dont est empreint l’ensemble de son œuvre, une critique qui se trouve à être encore d’actualité. Christian Lapointe signe une fois de plus une production marginale qui, sans être un incontournable pour le grand public, piquera sans aucun doute la curiosité des amateurs de productions anticonformistes pour ne pas dire avant-gardiste.
par Marie-Luce Gervais
Yves Hébert Sauvageau est né à Waterloo en 1946. À l’âge de 19 ans, il remporte le premier et le troisième prix du concours des jeunes auteurs de Radio-Canada. Il termine sa formation à l’École Nationale de théâtre en 1968. On dit de lui qu’il est un acteur brillant, généreux et vif d’esprit, en plus d’être un auteur sensible, avant-gardiste et prometteur et qu’il avait le don d’emballer ses professeurs, de susciter admiration et fascination. Certains allaient même jusqu’à présager qu’il révolutionnerait carrément le théâtre québécois. Il est pourtant actuellement à peu près inconnu du grand public. C’est qu’il « n'a pas eu le temps d'acquérir ni le métier, ni le talent du génie dramatique qui l'habitaient et dont on retrouve un peu partout dans ses œuvres la trace, l'empreinte et le souffle », disait Jean-Claude Germain. Il est mort à 24 ans, en pleine crise d’Octobre, le jour même où les chars d’assaut sont entrés à Montréal. Il aurait consommé 36 capsules d’acide.
Sauvageau Sauvageau est un hommage à cet homme de théâtre parti trop tôt. C’est un collage de sept pièces et poèmes de l’auteur, assemblées de manière à former un dialogue entre le jeune Sauvageau de 24 ans, à l’aube de s’enlever la vie, et le Sauvageau qui aurait aujourd’hui 69 ans. C’est Christian Lapointe, le metteur en scène, qui, suite à un mandat du CEAD d’organiser une lecture publique sur l’œuvre du jeune prodige, aurait eu l’idée de mettre en relation ces deux Sauvageau. Il s’est donc affairé à relever les passages où il avait l’impression que l’auteur s’exprimait lui-même à travers ses personnages, puis il a fait, comme il le dit si bien, « un travail de petits points pour trouver les traces de son désir de mort et de son besoin d’être en vie ». Il en résulte un dialogue extrêmement touchant, quoique parfois difficile à suivre, où le jeune Sauvageau s’adresse à son aîné qui incarne son double, mais qui pourrait aussi représenter la figure paternelle ou même celle d’un amant.
La pièce débute en toute simplicité avec des extraits d’entrevues où d’anciens collègues et professeurs d’Yves Hébert, de grands noms du théâtre tous décédés aujourd’hui, racontent Sauvageau, alors que des diapositives du jeune homme défilent. Cette simplicité demeure d’ailleurs tout au long de la pièce alors que les deux protagonistes débattent, discutent ou s’emportent sur la vie, la mort, l’amour ou la société. À l’image de l’œuvre du principal concerné, la pièce ne repose pas sur une trame narrative classique. Il s’agit de tableaux morcelés, tournants autour de thématiques récurrentes, qui s’enchaînent avec fluidité. L’accent est mis sur les mots du poète, des mots aux images fortes et qui sont terriblement d’actualité. Cette longue logorrhée force l’attention du spectateur, bombardé par l’émotion et l’urgence de vivre de l’auteur. Le texte est porté avec force et passion par les deux comédiens, Paul Savoie et Gabriel Szabo, qui ont une présence incroyable sur scène. La musique originale de David Giguère plonge l’assistance dans un univers à la fois nostalgique et lumineux. Émanant d’un piano ouvert dont les notes s’enfoncent toutes seules, image poétique forte, elle rythme la pièce durant une bonne partie du spectacle.
Il est étonnant de voir cette dualité récurrente dans l’œuvre du jeune homme, entre le désir de mourir et le besoin de vivre, mise en lumière dans Sauvageau Sauvageau. C’est un peu comme si, déjà, à travers ses textes, il apprivoisait l’idée de son destin tragique.