LAB87 frappe fort avec sa traduction de la pièce TRIBUS (Tribes), tant par la justesse de son interprétation que par l'actualité de son propos.
Le texte de l’auteure anglaise Nina Raine tisse les liens tortueux d'une famille aux règles bien établies et aux mécanismes de communication particuliers, où les mots sont à la fois ponts et barrières et où l'incommunicabilité est de plus en plus dévastatrice. Ils s'aiment, se détestent, se parlent sans s'écouter, se comprennent sans se parler.
Dans cette famille où les messages sont brouillés par des années de déni, l’arrivée de la langue des signes bouleversera l’ordre établi et poussera chacun à redéfinir sa place dans la tribu.
Billy est sourd de naissance et n'a jamais appris la langue des signes. Ses parents, craignant de l’ostraciser, l’ont élevé comme son frère et sa sœur. Lorsqu'il rencontre Sylvia, malentendante en voie de devenir sourde, son désir d'apprendre la langue signée, de faire partie d'une tribu qui lui est propre, bouleverse l’équilibre familial.
Section vidéo
Assistance à la mise en scène Jean-Simon Traversy
Éclairages André Rioux
Décor, costumes et accessoires Elen Ewing
Direction artistique David Laurin (LAB87)
Production LAB87
Dates antérieures (entre autres)
Du 11 au 29 novembre 2014 - La Licorne
critique publiée en 2014
En cette ère proclamée des communications, il semble parfois que tout le monde tente de s’exprimer, mais que personne ne communique vraiment… C’est un peu ce qui arrive dans cette tribu de la pièce Tribus, pour le moins dysfonctionnelle et pourtant si pleine d’amour, qu’est la famille de Billy.
Billy, interprété avec justesse par le touchant David Laurin, est un jeune homme sourd qui est, paradoxalement, d’une part couvé par sa famille, et d’autre part en marge de celle-ci à cause de son handicap. Ses parents, campés par les excentriques Jacques L’Heureux et Monique Spaziani, lui refusent l’apprentissage du langage des signes par peur de le scléroser et de le contraindre à n’interagir qu’avec la communauté sourde et malentendante. Il en résulte toutefois que Billy ne comprend pas toujours ce qui se passe au sein de sa propre famille. Lorsqu’il rencontrera Sylvia, une jeune femme en voie de perdre l’ouïe qui maîtrise le langage des signes - dont l’interprétation de Klervi Thienpont est à la fois précise et très sensible -, un désir d’émancipation naîtra en lui. Cela provoquera un éclatement au sein de la famille, Billy étant un point d’ancrage pour celle-ci ; c’est le seul personnage qui ne crie pas, et sur lequel on ne crie pas non plus. Alors que le départ de Billy marque un retour de la maladie mentale pour Daniel, son frère, à qui Benoît Drouin-Germain donne vie dans une impressionnante performance d’acteur, Alice, la sœur de Billy, incarnée par la sublime Catherine Chabot, semble être la seule qui conserve une santé émotionnelle relative.
La pièce, mise en scène par Frédéric Blanchette, est d’un réalisme frappant. Les personnages sont à la fois grossiers et intellectuels, hommes et femmes de lettres pourtant incapables de communiquer, autant de paradoxes auxquels les acteurs apportent plusieurs nuances intéressantes. Les silences et les cris rythment le texte créant une alternance entre le comique et le dramatique. De nombreuses références à divers types de langage viennent enrichir la proposition : le langage des signes, évidemment, mais aussi la lecture labiale, l’opéra, la musique, les citations d’auteurs et d’un psychanalyste, la rédaction de la thèse sur le langage de Daniel, l’apprentissage du mandarin du père, l’écriture du roman de la mère, bref tout y est.
La scénographie d’Elen Ewig est à l’image de la famille qui nous est présentée, à la fois ordonnée et éclectique. Plusieurs tapis jonchent le sol, créant d’abord une belle unité puis, lorsque notre oeil regarde attentivement, il accroche sur l’asymétrie desdits tapis. Il en va de même pour une immense bibliothèque débordant de livres.
Tribus est une pièce à la fois drôle et touchante, crue et profonde, aux nombreuses références qui poussent l’analyse sur la famille, la communauté, les relations interpersonnelles et la communication, et dont la magnifique scénographie, l’ambiance sonore et la justesse des interprètes éveillent tous les sens.