De par sa nature, le capitalisme s’infiltre dans toutes les sphères de la société. Il a ainsi gagné l’art comme le reste.
Le 15 septembre 2008, la banque Lehman Brothers déclare faillite. Une vente aux enchères historique a lieu au même moment à Londres : l’artiste contemporain Damien Hirst vend pour 147 M $ une série d’œuvres originales.
Le soir où a lieu la vente sont réunis une artiste du cuivre, son amie récemment mise à pied de chez Lehman Brothers et un trader new-yorkais, venu pour la vente. Entre l'artiste et le trader s'amorcera une liaison qui, bien que brève, ne sera ni désintéressée, ni sans conséquences.
Avec L'Art de la chute, Jean-Philippe Joubert et six acteurs-auteurs explorent les thèmes de l'art dans l'économie. Cette nouvelle création de Nuages en pantalon questionne une époque où l'économie se retire de plus en plus de la vie réelle pour spéculer sur des valeurs abstraites dont l'art est le dernier retranchement. Ici, art et finance ne font plus qu'un et redéfinissent l'essence même de la valeur artistique.
Section vidéo
Conception de l'espace scénique, des costumes et des accessoires Claudia Gendreau
Conception sonore Josué Beaucage
Coordination de la création Caroline Martin
Programmation technique et régie Marc Doucet
Photo Philippe Jobin
Billet acheté en prévente : 22 $
Billet acheté une fois le spectacle en cours : 35 $
*Les taxes et frais de services sont inclus dans nos tarifs.
Production Nuages en pantalon - compagnie de création
Jusqu’au 22 avril au Théâtre Périscope, la compagnie Nuages en pantalon propose une incursion tout aussi intelligente qu’audacieuse dans le domaine de la spéculation financière et artistique. Il aura fallu 4 ans de travail au collectif composé de Véronique Côté, Jean-Michel Girouard, Jean-Philippe Joubert, Danielle Le Saux-Farmer, Olivier Normand et Pascale Renaud-Hébert, avec la collaboration de Claudia Gendreau, Valérie Laroche et Marianne Marceau, pour présenter cette pièce pédago-comédico-suspense qu’est L’art de la chute.
L’équipe, dirigée par Jean-Philippe Joubert, explore ici un sujet plutôt dense et relativement abstrait pour le grand public, soit celui du capitalisme dans le domaine des arts. En y regardant de plus près, il est plutôt aisé, même évident, de faire le lien entre les spéculations financières et la valeur d’une œuvre d’art contemporain, alors que celle-ci monte et descend selon l’appréciation et la notoriété d’un artiste… Un concept qui peut fluctuer chaque minute, tout comme la bourse. Avant, « le prix renseignait sur la valeur d’un objet, maintenant c’est la valeur qui fixe le prix ».
Par l’entremise de l’artiste québécoise en art contemporain Alice Leblanc, en résidence à Londres, Greg Monroe, un courtier new-yorkais qui a engrangé des millions après la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008 et une amie d’Alice qui y travaillait, L’art de la chute nous propulse dans les méandres des subprimes, des hedge funds, des CDO (en français : « obligation adossée à des actifs »), des CDS (credit default swaps, ou « contrat de protection financière »), du fonctionnement des musées et des encans à la Sotheby's… de quoi en perdre son latin. Pourtant, la pièce trace, avec une assurance certaine, un chemin qu’elle balise pour nous, éclaircissant une quantité prodigieuse d’information. Somme toute, on arrive à tout saisir, grâce à des apartés plus ou moins pédagogiques, mais ludiques, de Pascale Renaud-Hébert. Par des métaphores humoristiques (avec l’aide, entre autres, de homards et de « pumpkin spice latte »), la comédienne, qui endosse plusieurs personnages, réussit à vulgariser ces concepts, démontrant la recherche rigoureuse accomplie et la maîtrise du sujet par l’équipe de création. Le charme opère assez rapidement ; c’est avec une certaine fascination que l’on suit les péripéties des personnages, dans ce 2008 aux nombreux rebondissements économiques.
Par contre, malgré les efforts dans une deuxième partie qui se concentre davantage sur les réactions d’Alice face aux actions et au métier de Greg – qu’elle manifeste par une exposition intitulée Fuck Wall Street et qui la fera basculer du côté sombre de l’art contemporain –, la quantité d’information refroidit légèrement la relation trouble que vivent les deux protagonistes, qui nous est présentée assez sommairement. Si le couple de Greg et Alice semble bien assorti, certaines décisions d’Alice peuvent paraitre étranges, même extraordinaires. Malgré les 2h30 de la représentation, on entre peu dans le détail de la vie de ce couple, qui est pourtant l'un des moteurs de la pièce.
Certaines scènes sont très fortes ; mentionnons l’encan des œuvres du (réel) artiste Damien Hirst, qui, le même jour de la faillite de Lehman, vend ses œuvres sans intermédiaire pour 212 M$ ; une scène belle et intense, superbement menée par Jean-Michel Girouard qui explique le fossé de plus en plus ténu entre l’artiste et la marque de commerce.
Les compositions musicales, souvent électro, très 2000, de Josué Beaucage, viennent joliment accompagner la trame narrative du spectacle. La scénographie, conçue par Claudia Gendreau, d’abord d’une désarmante simplicité (des tables que l’on déplace pouvant devenir de petites scènes mobiles), se complexifie progressivement, jusqu’à l’installation de caméras et d’écrans verts. Ce dispositif servira au segment qui présente le documentaire intitulé justement L’art de la chute, qui se penche sur la montée vertigineuse et la rude dégringolade d’Alice. On peut ainsi changer rapidement de lieux (grâce à la surimpression) ; les comédiens rivalisent alors de prouesses, empruntant nombreux vêtements, langues et accents pour incarner la panoplie d’intervenants.
La technologie, relativement incontournable dans ce type de spectacle, très bien utilisée, n'envahit jamais la scène ; en plus de la portion vidéo, notons, entre autres, quatre télés accrochées au-dessus de la scène, côté jardin, pour la diffusion de surtitres (car la pièce présente plusieurs dialogues en anglais), d’extraits de SMS ou de paroles pour un karaoké.
Il faudra un peu de temps pour que la pièce prenne réellement ses marques ; après quelques menus ajustements, L’art de la chute pourra devenir ce à quoi elle est destinée, devenir une grande pièce contemporaine au propos percutant.