En janvier 2011, Gilles et Esther emballent dix années de vie montréalaise dans sept petites boîtes et traversent le Canada pour aller s’établir à Vancouver. Ils s’y retrouvent bientôt confrontés à la difficulté de s’intégrer, de communiquer et de développer un réseau social, au cœur d’un long hiver gris et pluvieux qui exacerbe leur sentiment d’isolement. Les deux amoureux s’enferment, se replient sur eux-mêmes et tentent de créer leur propre univers entre les quatre murs de leur appartement.
Lors du Carrefour 2014, dans le cadre des laboratoires de création organisés avec l’Association des théâtres francophones du Canada, ils commencent à poser les bases d’un spectacle inspiré de leur histoire, en écho au roman L’Hiver de force de Réjean Ducharme. Depuis, ils ont confié leurs propres rôles à deux acteurs qui leur tiennent lieu d’avatars, ce qui leur a donné une distance très fertile. Avec humour et tendresse, avec une sincérité pleine de pudeur en même temps qu’une inventivité débordante, ils nous racontent comment cette grande aventure sur la côte ouest a transformé leur identité, leur relation de couple et leur rapport au monde.
Décor et accessoires Julie Vallée-Léger
Costumes Drew Facey
Musique Jacques Poulin-Denis
Éclairages Itai Erdal
Vidéo Antoine Quirion Couture
Collaboration à la mise en scène Édith Patenaude
Conseiller dramaturgique Philippe Ducros
Conseiller artistique Craig Holzschuh
Régie, assistance à la mise en scène et direction technique Julien Véronneau
Photo Emily Cooper
Durée 1h20
En marge des spectacles :
Entretien avec les artistes, vendredi 27 mai
Achat à l'unité : 48$
* Taxes et frais de service inclus
Production 2par4, Théâtre français du Centre national des Arts et Théâtre la Seizième
Théâtre Périscope
2, rue Crémazie Est
Billetterie : Carrefour - 418-529-1996 - 1 888 529-1996
Adresse : 369, rue de la Couronne, 4e étage, billetterie en ligne
Montréal, 31 décembre 2010. Esther Duquette et Gilles Poulin-Denis, deux tourtereaux qui ont eu le coup de foudre l’un pour l’autre devant une crèmerie de la rue Laurier quelques années auparavant, célèbrent la nouvelle année. Sur le coup de minuit, les invités entonnent « Ce n’est qu’un au revoir » : Esther et Gilles quittent bientôt leur condo de la métropole pour aller vivre à Vancouver. La jeune femme a trouvé du boulot là-bas, un job rêvé aux communications d’un théâtre britanno-colombien. Gilles, natif de la Saskatchewan et travailleur autonome, c’est-à-dire un peu nomade, accepte de suivre sa copine le temps du contrat. À 5000 kilomètres de Montréal, seuls ensemble, le couple se replie forcément sur lui-même. Ce déménagement/exil aura des répercussions inattendues, transformant leur relation et leur rapport au monde.
Inspiré par L’hiver de force de Réjean Ducharme (le titre du spectacle en est une traduction libre, quand même bien trouvée), Straight Jacket Winter est la réflexion artistique d’Esther et Gilles sur ces années passées loin de leurs familles et de leurs amis, ainsi que sur les changements qui se sont opérés autour et en eux. À l’instar de Nicole et André du roman de Ducharme, les deux amants, à la vie sociale déficiente, finiront par se cloitrer dans leur appartement.
La pièce, autofiction expérimentale et hybride, colle certains éléments réels de la vie des amoureux et d’autres fictifs. Elle se présente sous forme de tableaux aux styles variés, passant de l’ennui mortel à jouer au jeu du dictionnaire sur le divan à des discussions réalistes sur leurs efforts de s’intégrer à leur nouveau milieu, le tout culminant vers une scène absolument magnifique où les deux amoureux pètent les plombs, courent, dansent, se collent des bouquins au torse comme une ceinture de kamikaze ou s’enrubannent dans du papier toilette. L’intimité du couple est aussi abordée, mais avec pudeur, comme en témoigne une scène d’amour chorégraphiée tout en retenue et très réussie. Les deux créateurs n’ont pas eu peur d’ajouter de nombreux silences et des moments d’attente, qui sont tout aussi éloquents que les mots prononcés par les personnages.
Esther Duquette et Gilles Poulin-Denis, présents sur scène, jouent aux narrateurs ; ils établissent les lieux et le temps lors de quelques interventions où ils s’adressent directement au public, ou par l’entremise d’une caméra, côté jardin, dont les images sont projetées sur un immense écran à l’arrière-scène. La technique low-fi est judicieusement utilisée lors de plusieurs scènes, permettant une séance Skype, affichant les pages Facebook d’amitiés non concluantes ou plaçant simplement l’ambiance du moment en utilisant astucieusement des objets de la vie quotidienne. Avec beaucoup de finesse, les comédiens Frédéric Lemay et Julie Trépanier jouent les doubles d’Esther et Gilles, et ce, sans tomber dans le piège de l’imitation. Leur présence crée du coup une certaine mise en abîme ; les interventions entre les vrais et les faux Esther et Gilles causent inévitablement quelques situations cocasses, mais peu exploitées ; certaines opportunités humoristiques sont malheureusement perdues.
La trame musicale, montée par Jacques Poulin-Denis, crée davantage que des ambiances : elle devient un cinquième personnage en scène. Classique, rock, disco (vinyles obligent, puisqu’ils n’ont apporté que des 33 tours dans leurs boîtes), les airs se succèdent et rythment la vie dans cet appartement vancouvérois.
Présentée en première mondiale au Carrefour, Straight Jacket Winter est un docu-fiction théâtral ludique tout à fait charmant qui évoluera encore beaucoup, parions-le, au cours des prochaines représentations.