Quatre australopithèques éberlués — et plutôt futés ! — font une série de découvertes majeures en un temps record. Ils établissent une méthode de classification hautement faillible qui consiste à séparer les choses qui font poc poc de celles qui ne font pas poc poc. Mine de rien, dans un microcosme hors normes, tout juste grand comme une scène, ils démontent brillamment la mécanique de la création théâtrale, et nous offrent une épopée philosophique déjantée et jubilatoire.
Comment, en un peu plus d’une heure, passer du Big Bang à la fin des temps sans passer par le milieu ? C’est franchement hilarant. L’humour décalé de &&&&& & &&& avait enchanté les festivaliers en 2012. Cette fois encore, Antoine Defoort et Halory Goerger se posent en démiurges méthodiques, un brin ahuris, mettant tout en œuvre pour démontrer la logique d’une entreprise purement loufoque. Juxtaposant une série d’idées saugrenues, ils repensent l’univers avec une logique aussi déconcertante que désopilante.
Antoine Defoort et Halory Goerger sont musiciens, acteurs, philosophes, farceurs, artistes et inventeurs, dans le désordre. L’amicale de production, coopérative de projets développés par différents artistes, à laquelle ils sont associés, permet une totale indépendance de chaque équipe de création. Leurs spectacles, déjantés et ingénieux, bousculent les codes de la représentation. Séparément, chacun s’adonne à différents genres artistiques en les mélangeant allègrement, que ce soit de la poésie sonore, un tube de Kraftwerk chanté par une chorale, des installations interactives... Chacun propose également un spectacle solo ; Indigence = élégance pour Antoine Defoort (présenté à Montréal et à Québec en 2010), Métrage variable pour Halory Goerger. S’ils affirment pratiquer le coq-à-l’âne, le spectateur crée ses propres liens, sort de ces expériences stupéfait et stimulé.
En 2012, &&&&& & &&& sous-titré « Un spectacle de câble et d’épée » étonnait le public du FTA. Depuis, Defoort et Goerger poursuivent les représentations de France distraction, une installation aux allures de kermesse, et Bonjour concert, de courtes pièces d’art vidéo rigolotes circulant dans des lieux culturels. Depuis sa création en 2013, Germinal connaît un énorme succès. Lors du plus récent Festival d’Avignon, en plus de Germinal, Goerger, Defoort et leur camarade Julien Fournet offraient Le jeu de l’oie du spectacle vivant, un tableau parodiant la production contemporaine.
Section vidéo
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Direction technique et régie plateau Maël Teillant
Lumières et plateau Sébastien Bausseron
Son et plateau Robin Mignot
Chargé de production et regard extérieur Julien Fournet
Construction Christian Allamano, Samuel Chénier, Emeline Delvoye, Gwenael Payen+ Colin Plancher, Cédric Ravier, Maël Teillant
Photo Bea Borgers
Rédaction Paul Lefebvre
Création au Festival d'Avignon, le 16 juillet 2013
Durée : 1h15
Tarif régulier : 43 $
30 ans et moins /
65 ans et plus : 38 $
Taxes et frais de services inclus
En parallèle
Rencontre avec les artistes en salle après la représentation du 30 mai
Coproduction Festival TransAmériques + Biennale de la danse de Lyon + Théâtre de la Manufacture - Centre dramatique national Nancy Lorraine + Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles) + Le Phénix - Scène nationale de Valenciennes + Buda Kunstencentrum (Courtrai) + Kunstencentrum Vooruit (Gand) + Le Vivat - Scène conventionnée d’Armentières + Manège.Mons/Cecn/Technocité + Alkantara Festival (Lisbonne) + Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine + Festival Baltoscandal (Rakvere) + Noorderzon Performing Arts Festival Groningen + Rotterdamse Schouwburg
Présentation en collaboration avec le Carrefour international de théâtre (Québec) etavec le soutien du Conseil régional Nord-Pas-de-Calais + Ministère de la culture et de la communication - DRAC Nord-Pas-de-Calais
Projet soutenu dans le cadre de L’Opération FRIMAS lancée par L’Institut Français et le Consulat général de France à Québec en 2014
Maison Théâtre
245, rue Ontario Est
Billetterie : FTA - 514-844-3822 / 1-866-984-3822
Quartier général FTA : 300, boul. de Maisonneuve Est
par David Lefebvre
D’abord il y a le noir. Le néant. Puis, une mince lame de lumière, comme un horizon, brise l’obscurité. Les lumières s’affolent, passent en mode test : quatre individus, consoles en main, s’amusent avec les boutons. L’un de ces boutons ne semble pas fonctionner : du coup, l’homme découvre, en le manoeuvrant, que ses pensées apparaissent sur les panneaux de surtitres. La communication naît.
Voilà la prémisse de Germinal, l’un des plus récents spectacles de l’Amicale de production, qui avait enchanté critiques et public lors du FTA 2012 avec &&&&& & &&&. Les créateurs extraordinaires Antoine Defoort et Halory Goerger s’amusent encore une fois à chambouler les codes et à tout recréer, et ici, rien de moins que l’univers - du moins, celui, métaphoriquement, du comédien.
Les quatre comparses tentent de conceptualiser leur monde, de structurer un système social, en commençant par leur corps, leurs pensées, puis leurs voix. La découverte d’un microphone, qu’on déterre littéralement de la scène à coup de pioche, leur permet de s’exprimer verbalement. Mais rapidement, ils se rendent compte qu’ils peuvent le faire par eux-mêmes, sans passer par les panneaux de surtitres, le micro ou même un communicateur délégué, recevant de façon télépathique les pensées de chacun pour les retransmettre verbalement. Le concept de l’acteur prend brièvement forme dans ce jeu d’interprétation des mots des autres.
On note tout ce que l’on voit sur le mur du fond qui se remplit de mots. On catégorise, avec imagination, les objets et les notions, dans deux groupes : « ce qui fait poc poc » (comme quand on tape sur la membrane d'un microphone) et ce qui ne le fait pas. Musique, chant, découverte de l’émotion et de la catharsis, contact avec l’extérieur, refus des diktats monétaires et déistes, menu informatique, arbre conceptuel ; Germinal est un délice et un délire philosophique créé par de candides clowns à la logique tout aussi simple, loufoque que profonde.
Arnaud Boulogne, Antoine Defoort, Halory Goerger et Beatriz Setien forment un quatuor absolument sensationnel. À l’intérieur de ce landernau, ils déconstruisent la théâtralité pour mieux la comprendre, la cerner, sous les airs d’une création du monde totalement déjantée. Désopilant, Germinal l’est. Intelligent, il l’est encore plus. Car derrière la destruction en règle du plancher du décor, les nombreuses répliques souvent anodines et la gestuelle qui provoquent le rire, il y a une pensée rigoureuse de début des temps, une véritable recherche qui creuse la mécanique de l’humanité et un désir de plonger dans la genèse du monde et de tout réinventer, ou presque. N’est-ce pas ce que font, à priori, les metteurs en scène au théâtre ?
Pari réussi pour le duo Defoort et Goerger qui frappe un autre grand coup avec cette création totalement hors-norme, d’une inventivité et d’une intelligence indéniable, à la logique et aux cohérences en trompe-l’œil – ou trompe-l’esprit – et d’un humour flirtant entre le clownesque et l’absurde, réussissant sans cesse à étonner un auditoire conquit - ou médusé! - dès les premières minutes.