L’histoire en elle-même ne tient qu’en quelques mots. Mais lorsque cet ouvrage singulier devient une série de textes courts évoquant la même histoire de plusieurs façons différentes, nous nous trouvons devant un exercice ludique, inventif, unique qui fait la belle part au jeu.
Texte Raymond Queneau
Mise en scène et montage Marie-Josée Bastien
Avec Jonathan Gagnon, accompagné de Steve Hamel
Crédits supplémentaires et autres informations
Assistance mise en scène Christian Garon
Scénographie et costumes Sébastien Dionne
Musique Steve Hamel
Éclairages Nyco Desmeules
Durée : 1h10
Sous toute réserve, le spectacle devrait avoir lieu sur la scène Octave-Crémazie
Production Le Trident
Ah ! Ce Queneau ! Quel plaisir littéraire de (re)découvrir son œuvre-phare, Exercices de style, qui festoie ses 71 ans en cette année 2020 ! Loin des adaptations des metteurs en scène français Yves Robert ou Jacques Seiler (qui proposait trois narrateurs), celle de Marie-Josée Bastien extirpe un détail du récit initial pour en faire (presqu’)un personnage en soi : le fameux bouton du pardessus. Dans les mains de Jonathan Gagnon, ce fil rouge se transforme en or.
C’est sous les traits d’un tailleur que le comédien entre en scène. Rapidement, il raconte l’histoire dont il aurait été témoin : dans un autobus, un homme au long cou et au chapeau mou se fait bousculer ; deux heures plus tard, il le revoit, gare Saint-Lazare, alors qu’un ami lui propose d’ajouter un bouton supplémentaire à son pardessus. À histoire banale, versions extraordinaires : le voilà qu’il reprend son récit en d’autres mots, variant le rythme, le style, le registre.
(...) Gagnon, à qui le rôle va comme un gant, s’amuse terriblement. La mise en scène tout aussi créative, inspirée que ludique de Marie-Josée Bastien met tout son talent en valeur, de son élocution au jeu nuancé ou extravagant, des pas de danse aux intenses exclamations.
Raymond Queneau en écrira 99 versions, entre 1943 (sous l'Occupation, dans la revue Messages) et 1947. On en retiendra ici près d’une quarantaine (et pas des plus faciles) : analyse logique, animisme, métaphorique, télégraphique, interrogatoire, comédie, apostrophe, interjections, en passant par les sens (olfactif, tactile, visuel) et les temps (présent, passé simple, imparfait, voire en alexandrins)… Gagnon, à qui le rôle va comme un gant, s’amuse terriblement. La mise en scène tout aussi créative, inspirée que ludique de Marie-Josée Bastien met tout son talent en valeur, de son élocution au jeu nuancé ou extravagant, des pas de danse aux intenses exclamations. C’est un réel plaisir d’admirer autant le jeu de l’homme que la liberté dans l’usage de la langue française du texte original.
La scénographie de Sébastien Dionne vient admirablement aider Gagnon : le spectateur se retrouve devant un décor de boutique aux mille tiroirs, avec présentoir, mannequins, tissus, fils et rubans. Des accessoires que le comédien utilisera magnifiquement tout au long de la représentation, jusqu'à faire parler des lampes ou flirter avec le mannequin de couture. À mi-parcours, le musicien Steve Hamel vient prêter main forte sous les traits d’un artisan, faisant de quelques objets une batterie de fortune pour accompagner musicalement le narrateur tout en le mettant parfois au défi. La présence de Hamel permet alors de briser une certaine répétitivité ou une redondance qui aurait pu miner la représentation, malgré tout le travail et le talent de Jonathan Gagnon.
Marie-Josée Bastien prend aussi plaisir à réécrire cet histoire d'autobus et de pardessus dans d’autres styles plus modernes, dont le texto, et insérer quelques traits d’humour en rapport à la situation actuelle. Alors que ce texte de Queneau connut dans le passé plusieurs adaptations théâtrales en France, de mémoire de critique, il semblerait que ce soit l’une des premières fois - si l'on exclut L'Oulipo Show de la compagnie UBU à la fin des années 80 qui reprenait quelques lignes des Exercices de style - que le public québécois puisse apprécier les tournures de phrases de l’un des fondateurs de l’Oulipo. L’adaptation du Trident est si réjouissante qu’on souhaite d’autres représentations et un plus large public que les 70 sièges permis sur la scène de la salle Octave-Crémazie - même si l'intimité imposée par les mesures sanitaires sied admirablement bien à ce spectacle. Une version légèrement plus courte pour adolescents pourrait aussi être facilement envisageable, tant le jeu débordant d’enthousiasme, le théâtre d’objets, la musique jazzy et la liberté de la langue font bon à voir. À bon entendeur…23-09-2020