Une fausse moustache, un changement d’identité : à Tijuana, durant six mois, Gabino Rodríguez devient Santiago Ramirez, ouvrier d’usine payé au salaire minimum.
Une fausse moustache, un changement d’identité. À Tijuana, durant six mois, le comédien Gabino Rodríguez devient Santiago Ramirez, ouvrier d’usine payé au salaire minimum. Il s’installe dans cette ville-frontière mexicaine, dont l’immense pays voisin sous-traite sa production à coût dérisoire, une pratique encouragée par le gouvernement local. Tel un journaliste d’enquête, l’homme de théâtre tente de survivre avec moins de cinq dollars par jour. Comme plusieurs millions de ses concitoyens.
Résultat d’une étonnante infiltration, Tijuana expose les dilemmes éthiques que cette méthode documentaire implique. Le récit bouleverse ; seul en scène, l’acteur accomplit un tour de force en s’investissant avec empathie dans ce personnage dont l’histoire sonne amèrement vraie.
Films, enregistrements, textes : Rodríguez révèle sans fard la violence inouïe d’une communauté qui a perdu confiance en son gouvernement et décide de se faire justice. Avec une fine poésie, il témoigne aussi des rapports d’amitié, de solidarité, d’entraide. D’humanité.
Idéation et interprétation Gabino Rodríguez
D’après les textes et idées de Martin Caparrós, Andrés Solano, Arnoldo Galvez Suárez, Günter Walraff
Mise en scène Gabino Rodríguez, Luisa Pardo
Crédits supplémentaires et autres informations
Lumières Sergio López Vigueras
Scénographie Pedro Pizarro
Son Juan Leduc
Vidéo Carlos Gamboa, Chantal Peñalosa
Collaboration artistique Francisco Barreiro
Rédaction Diane Jean
Traduction Neil Kroetsch
Photo Festival escenas do cambio
Durée 1h15
Rencontre après la représentation du 25 mai
Création au Festival Escenas do Cambio, Santiago (Espagne), 28 février 2016
Classe de maître
Gabino Rodríguez
28 + 29 mai, À venir.
Entre fiction et réalité : théâtre documentaire ?
Auteur d’un théâtre assoiffé de réel, l’artiste mexicain Gabino Rodríguez met en tension des faits précis, datés, géographiquement localisés, avec la fiction. Au sein du collectif Lagartidas Tiradas al Sol, il aborde la scène selon des perspectives multiples, dans des langages divers et variés. Invitant au débat et à la réflexion, sa pratique artistique soulève des enjeux éthiques, politiques et esthétiques fondamentaux qui seront au coeur de cet atelier.
En français et en espagnol
Un spectacle de Lagartijas tiradas al sol
Présentation en collaboration avec Espace libre, Rencontres internationales du documentaire de Montréal
Après avoir présenté Asalto al agua transparente (2010), Catalina (2010) et El rumor del incendio (2011), Gabino Rodríguez revient au FTA pour y présenter le quatrième volet de son projet-fleuve, La démocracia en México (1965-2015), qui porte sur l’histoire politique et sociale du Mexique.
Tijuana consiste en le récit des six mois qu’a passés Rodríguez dans la ville de Tijuana à travailler au salaire minimum dans une manufacture d’emballage. Adoptant une nouvelle identité, celle de Santiago Ramirez, le comédien raconte son entreprise de recherche d’appartement, ses allers-retours en transport en commun et sa gestion financière… puis la méfiance de son patron, l’économie parallèle nécessaire à la survie des plus pauvres, les rapports de pouvoir dans la ville et la justice populaire qui n’épargne personne.
La scénographie conçue par Pedro Pizarro est aussi simple qu’efficace. Une murale occupe tout le derrière de la scène, figurant un portrait de la ville de Tijuana, avec la grande autoroute qui la sépare en deux. Des briques forment une sorte de maquette de la ville au sol, que le comédien réaménage à l’occasion pour y faire apparaître de plus hautes tours, ou pour y ajouter de petits drapeaux. À l’avant, un écran permet de projeter des photos et des vidéos. Le reste de l’espace est plutôt évoqué par la gestuelle du comédien, qui fait comprendre facilement au public la configuration de son appartement, ou encore l’exiguïté de son lieu de travail.
Afin de documenter son séjour, Gabino Rodríguez a capté des vidéos à l’aide d’une petite caméra portative qu’il cachait dans sa poche. Le soir, il prenait également soin de noter ses observations en détail dans un carnet. Des entrevues, des vidéos Facebook et des témoignages s’ajoutent pour expliquer certains épisodes de l’histoire du Mexique et pour contraster avec l’histoire plus personnelle de Rodríguez. Les talents d’orateur du comédien sont incontestables, notamment à la fin du spectacle, lorsqu’il raconte comment le violeur d’une fille de la ville s’est fait livrer par la police pour subir la vengeance populaire. C’est d’ailleurs la violence avec laquelle cet homme s’est fait battre à mort qui a poussé l’artiste à terminer son expérience plus tôt que prévu, le comédien s’étant mis à avoir peur de l’ampleur des possibles sanctions pour l’« usurpation d’identité » nécessaire à la réussite de son projet artistique.
Or, tout au long du spectacle, le comédien maintient l’ambiguïté sur la véracité des épisodes qu’il raconte. Bien que des photos de certaines pages de son carnet soient projetées à plusieurs moments et que les extraits vidéo soient de piètre qualité (son médiocre, images mal cadrées et mouvement perpétuel de la caméra), rien ne prouve que ces documents constituent de réels documents d’archives. En témoigne d’ailleurs peut-être le fait que Rodríguez n’apparaisse pas dans les crédits du programme pour les textes et les idées du spectacle.
Il n’en reste pas moins que le comédien est parfaitement crédible dans son personnage, que la situation qu’il dénonce – la difficulté, voire l’impossibilité, de vivre confortablement avec les revenus du salaire minimum au Mexique – est bien réelle, et que la démarche de la compagnie Lagartijas tiradas al sol est essentielle et pertinente.