Le Kabuki
L’apogée du théâtre de poupées coïncide avec la période de production intensive de Chikamatsu Monzaemon et de ses successeurs immédiats. Cependant, dès les environs de 1750, le public commençait à déserter les salles au profit d’un spectacle plus ancien que le Ningyô-jôruri (Bunraku), mais qui était resté jusque là très vulgaire et plutôt méprisé : le kabuki.
Les historiens du théâtre japonais datent généralement la naissance du kabuki de l’année 1605. Une danseuse du temple d’Izumo, O.Kuni, était venue s’installer à Kyôto où elle présentait, sur des tréteaux improvisés, des nembutsu-odori, danses d’origine bouddhique. Bientôt, elle groupa autour d’elle une troupe féminine, à laquelle vinrent se joindre des acteurs de kyôgen sans emploi. Aux danses proprement dites, on ajouta des farces. Ce fut ce que l’on appela le kabuki d’O.Kuni, du nom de sa fondatrice. Le mot kabuki fut transcrit par la suite au moyen de caractères signifiant « art du chant et de la danse », mais en réalité, ce terme semble avoir une origine plus prosaïque dans le verbe kabuku, « se contorsionner ». Il n’y avait encore là rien de bien différent des saltimbanques du Moyen Âge.
La troupe d’O.Kuni avait conservé une certaine tenue ; il n’en fut pas de même de ses imitatrices, des troupes de femmes dont la fonction essentielle était d’attirer des clients dans les maisons de prostitution. Le scandale fut tel que, dès 1630, le gouvernement interdit aux femmes de monter sur la scène. On les remplaça donc par des jeunes gens, mais le scandale fut pire encore. D’où une nouvelle interdiction en 1652.
Paradoxalement, ce furent ces interdictions répétées qui valurent finalement au kabuki ses traits caractéristiques et son évolution vers un type de théâtre classique. En effet, si le kabuki d’avant 1652 consistait essentiellement en danses érotiques, après l’intervention des autorités, on en vint à interpréter des danses d’un caractère plus sérieux, ainsi que des scènes de théâtre parlé, inspirées des kyôgen. Cependant le kabuki, toujours interdit aux femmes et aux éphèbes, confiait à des acteurs spécialisés l’interprétation des rôles féminins. Cet usage, toujours en vigueur, devait marquer fortement les « danses de femmes ». La force physique des acteurs permettait de leur imposer des efforts qui eussent été exténuants pour une femme. À tel point qu’il est impossible aujourd’hui, même aux meilleures danseuses, d’interpréter correctement ces danses.
La région d’Osaka ne permettait pas au kabuki de se développer librement en raison de la vogue du théâtre de poupées. Les meilleurs acteurs de kabuki émigrèrent donc vers Edo, où, dès les premières années du XVIIIe siècle, ils mirent au point une forme de théâtre nouvelle. Le public d’Edo était toutefois, à cette époque, moins raffiné que celui des environs de la capitale, et les spectacles s’en ressentaient. D’où la formation d’une première manière que l’on a très justement qualifiée de réalisme grossier allié à un romantisme forcené. L’un des fondateurs du kabuki d’Edo créa un genre connu sous le nom de aragoto ou « manière rude ».
Le kabuki en était là, lorsque l’on eut l’idée d’exploiter la popularité du théâtre de poupées en lui empruntant son répertoire. Le succès fut presque immédiat. Le public, évidemment las des marionnettes, accueillit avec enthousiasme l’interprétation, par des acteurs en chair et en os, de pièces qu’il connaissait bien. Au départ, les acteurs du kabuki s’efforcèrent d’imiter servilement le jeu des poupées. Ils conservèrent les récitants qui commentaient l’histoire sur le mode gidayu, et poussèrent, dans certains cas, le souci de l’imitation, jusqu’à adjoindre aux danseurs des pseudo-animateurs vêtus de noir. Tandis que les animateurs de marionnettes cherchaient à reproduire la souplesse de la vie, les acteurs de kabuki tentaient de donner à leurs mouvements la raideur des poupées. Ce premier stade, parodique, fut d’ailleurs très rapidement dépassé, lorsqu’on s’aperçut que le public préférait un jeu plus naturel. Le kabuki avait désormais trouvé sa voie. Le kabuki s’enrichit prodigieusement au cours des deux siècles suivants pour prendre peu à peu sa forme actuelle puisque les auteurs dramatiques déserteront les marionnettes pour se consacrer entièrement au nouveau théâtre. Les plus importants sont Tsuruya Namboku et Kawatake Shinshichi, plus connu sous son pseudonyme de Mokuami (1816-1893).
Ce dernier est, sans doute, après Zeami et Chikamatsu, le plus grand auteur dramatique du Japon, le seul dramaturge authentique, en tout cas, qui ait exclusivement travaillé pour le kabuki. Mokuami est, au meilleur sens du terme, un novateur et un moderne. Un novateur, car il a donné au kabuki un répertoire de théâtre au sens occidental du terme, d’un théâtre narratif, qui comporte une action et non plus seulement un thème, des pièces destinées à des acteurs, et non plus adapté, tant bien que mal, du répertoire des marionnettes.
Dès la fin du XVIIIe siècle, le kabuki était devenu un art complet qui exigeait de ses acteurs un entraînement rigoureux et les talents les plus divers. Danse, musique et chant y ont conservé une place prépondérante. Un programme de kabuki comporte presque obligatoirement un morceau de chorégraphie qui est souvent une « danse de femme ». Le danseur-étoile y apparaît tantôt seul, tantôt entouré d’un imposant corps de ballet, tandis que, rangés au fond de la scène sur une estrade, trente ou quarante musiciens et chanteurs assurent l’accompagnement. Cet orchestre comporte essentiellement un certain nombre de shamisen dont la musique est rythmée par les instruments déjà connus du nô : flûte et tambours. Le chant est dérivé du jôruri, soit directement, soit par l’intermédiaire du gidayu.
Les acteurs de Kabuki sont maquillés (et non masqués comme dans le Nô). Les maquillages sont très stylisés, et permettent au spectateur de reconnaître au premier coup d'œil les traits principaux du caractère du personnage.
La danse est également représentée dans les pièces de théâtre proprement dites, soit intégrée à l’action lorsqu’un personnage de la pièce, une courtisane par exemple, le permet, soit à titre d’intermède, sérieux ou comique. Les intermèdes burlesques remontent par-delà le kabuki de la première époque, aux acrobates du sarugaku (saltimbanques). Ce sont des ballets acrobatiques, comparables à ceux que nous présenta naguère l’Opéra de Pékin. Leur mouvement diffère cependant fondamentalement de la manière chinoise, se rattachant plutôt à celle du kyôgen par une stylisation qui a pour résultat une intense puissance comique : l’on y voit des personnages impassibles, coincés dans des costumes lourds et encombrants, se détendrent brusquement en un saut périlleux en arrière pour reprendre immédiatement leur attitude compassée. Lorsque quinze ou vingt danseurs exécutent simultanément ce numéro, l’effet en est irrésistible : tels sont, en particulier, certains combats parodiques, où l’on voit le héros se débarrasser d’un geste d’une troupe de guignols.
Le répertoire est divisé en trois catégories:
Jidai mono (pièces historiques)
Sewa mono (pièces du quotidien)
Shosagoto (morceaux de danse)
Le plupart des pièces toutefois mettent en scène des samouraïs.
Les caractéristiques principales du Kabuki sont l'Onnagata, le Mie (moment où l'acteur se fige un instant dans une attitude caractéristique du personnage), et le Hanamichi (littéralement chemin des fleurs), pont permettant aux acteurs d'entrer en scène en traversant le public.
À ce répertoire déjà abondant, vinrent s’ajouter, au cours du XIXe siècle surtout, de nombreuses pièces de théâtre parlé, d’où la musique est à peu près complètement exclue. Cette veine est loin d’être tarie : chaque mois, les théâtres de Tôkyô ou d’Osaka présentent des pièces de nouveau kabuki d’auteurs contemporains, en même temps que des danses nouvelles de style classique, où l’influence européenne se fait à peine sentir. Cela pour dire que le kabuki est tout autre chose qu’un conservatoire, qu’il s’agit d’un théâtre qui, tout en perpétuant un art classique, reste vivant et se renouvelle perpétuellement.
Sources images
http://sakoku.over-blog.com/article-79347.html
http://www.shunkin.net/Auteurs/
http://www.righttec.com/img/kabuki.jpg
http://www.sado.co.jp/ ryotsukankou/spot/spot04.htm
http://www.class4a.com/ kabuki.htm.