Le Kyôgen ou l'art du grotesque
Nô et kyôgen constituent un couple improbable, sinon infernal : ils ont beau n’avoir pratiquement rien en commun, ils sont absolument inséparables. C’est qu’il faut bien que l’acteur de nô change de costume, de masque et de coiffure entre la première et la seconde partie de la pièce. Aussitôt, l’humble acteur de kyôgen, qui appartient à une corporation distincte et longtemps jugée inférieure, lui sert de bouche-trou, profitant de la tirade qui lui est alors impartie pour paraphraser dans la langue des gens du commun les récits hautement littéraires que les acteurs et le choeur tragiques ont préalablement psalmodiés. Dès le XVe siècle, l'usage s'était instauré d'intercaler entre deux pièces sérieuses un épisode comique de Sarugaku (danse du singe). Sous le nom de Kyôgen, paroles folles, ces farces deviendront inséparables du Nô. En effet, si le Nô exprime ce que nous voudrions être, la voie de nos aspirations, le Kyôgen exprime ce que nous sommes et son acceptation: deux chemins conduisant à la sagesse.
Et que serait sans les farces de kyôgen la journée traditionnelle de nô, sinon une interminable déploration ? Le personnage de kyôgen est bon vivant, roublard, buveur invétéré et prêt à tout pour étancher sa soif, il renvoie le spectateur à sa dérisoire et touchante humanité quand le nô le transporte hors de lui-même. Les saynètes de kyôgen, intercalées entre chacun des cinq nôs traditionnels, assurent le mélange des genres et rompent la monotonie, fût-elle majestueuse. Ce sont des farces au sens littéral du terme, puisqu’elles farcissent la journée de spectacle. Le Kyôgen joue donc, en tant qu'intermède de vingt à trente minutes, le rôle de contrepoint face à la tension tragique du Nô. Bouffonneries inspirées de la vie quotidienne médiévale, les pièces de Kyôgen plongent à la manière de la commedia dell'arte dans la satire sociale. Elles sont confiées depuis la nuit des temps, ou du moins depuis l’époque Muromachi (XIVe et XVe siècles), à un petit nombre de familles qui en ont transmis la tradition : imaginons un instant La Farce de Maître Pathelin (chef d'oeuvre du théâtre comique médiéval) jouée par les successeurs en ligne directe de ses créateurs !
Il est joué la plupart du temps sans masque, avec peu de musique et de chœur, il utilise la langue de l'époque (à l'inverse du Nô qui cultive les archaïsmes) et, toujours par effet de contraste avec le Nô, évite le surnaturel sauf pour le parodier, et surtout les personnages nobles. Bien qu'ayant un répertoire fixe et des techniques d'une grande rigueur, le Kyôgen garde à l'esprit qu'il vient d'un art de l'improvisation, ce qui est confirmé par l'importance des variantes et versions entre les répertoires des écoles.
Il existe deux écoles, l'école Okura (la famille Shigeyama en est la plus célèbre représentante) et l'école Izumi (la famille Nomura en est la plus célèbre représentante). Avec 177 pièces en commun, les répertoires comptent 180 pièces pour Okura et 254 pour Izumi.
Le répertoire actuel compte environ 300 pièces. Le Kyôgen se joue le plus souvent à visage découvert, (mais le masque est parfois utilisé, notamment dans les parodies du Nô, ou lorsque des personnages fantastiques ou surnaturels sont en jeu). Contrairement au Kabuki, les costumes et les lumières sont ici volontairement très sobres afin de porter toute l'attention du spectateur sur l'interprétation du comédien. L’un des plus célèbres acteurs de Kyôgen fut Shimé Shigeyama.
Sources images
www.nac-cna.ca/en/ theatre/professional.html.
www.osamurai.hpg.ig.com.br/ no.htm.