Salle Ludger-Duvernay, Monument-National,
1er et 2 juin : 19h
Iwanow
Volksbühne am Rosa-Luxembourg-Platz (Berlin)
Durée: 140 minutes
Sur une scène totalement nue, des acteurs émergent littéralement du brouillard pour venir à tour de rôle jouer leurs petits numéros. Éloignée du naturalisme, cette production impose une émotion vraie sous le jeu à l’emporte-pièce. Avec cet Iwanow de la Volksbühne de Berlin, le spectateur est remis en contact avec la vérité première du théâtre.
Drôlement tragique, férocement comique, la première pièce de Tchekhov trace le portrait d’un homme au bord du gouffre. Pourtant, plus la situation de cet oisif endetté paraît désespérée et plus ses malheurs font sourire. Disposant de l’œuvre avec aisance et brio, Dimiter Gotscheff et son équipe n’ont voulu trancher ni pour le drame ni pour la comédie. Ce grand metteur en scène, qui a travaillé dans les plus prestigieux théâtres allemands, teinte d’humour et de cruauté les remords mélancoliques de cet antihéros et ceux des âmes mortes qui défilent à son chevet. Grâce à des acteurs virtuoses, qui fuient le confort de la psychologie, se dessine une objection de l’âme contre les grisailles de la vie, contre une existence bornée et sans ailes. (S.L.)
Mise en scène : Dimiter Gotscheff
Texte : Anton Tchekhov
Avec : Samuel Finzi, Almut Zilcher, Hendrik Arnst, Wolfram Koch, Silvia Rieger, Birgit Minichmayr, Alexander Simon, Marie-Lou Sellem, Winfried Wagner, Milan Peschel, Michael Klobe, Sir Henry
Scénographie : Katrin Brack
Musique : Sir Henry
Costumes : Katrin Lea Tag
Lumières : Henning Streck
Dramaturgie : Peter Staatsmann
Production : Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz (Berlin)
Avec l’appui du Goethe-Institut Montréal
Page Web officiel en allemand
Page Web introduction en anglais
Article sur Wikipedia
Adultes :
55,00 $, 48,00 $
25 et moins / 65 ans et plus :
45,00 $, 38,00 $
Crédit photos:
Thomas Aurin
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Source
: www.fta.qc.ca
par Mélanie Viau
Dans la brume opaque d’une âme mélancolique paradent les spectres colorés figurants les personnages tchékhoviens. Une ambiance vaporeuse dans laquelle des corps en breloques, exposés comme des figurines, jouent avec dérision la tragédie du compte Nicolas Alexéevitch Ivanov, ce vieil homme de 39 ans, fatigué de vivre sa propre comédie. «Je n’arrive pas à comprendre ce qui se passe dans mon âme», dit-il d’un ton confus et las, traduisible de cette angoisse qui le fait sombrer dans une banalité et un ennui mortellement confortables. Un ennui fantomatique. Et dans cette atmosphère sédative surgissent les bourgeois saturés, les artifices du mensonge qui pousseront Ivanov à sortir de son inaction pour poser le geste ultime qui le fera sortir du spectacle.
Esthétiquement, on est sous le charme d’avoir devant soi une proposition scénique aussi signifiante. Avec Iwanow, la production berlinoise tient une œuvre unique, un pur rafraîchissement de cette première pièce du grand auteur russe. Ayant à sa disposition les deux versions du texte original (Ivanov, 1887), le metteur en scène Dimiter Gotscheff, avec à ses côtés le dramaturge Peter Staatsmann, fit de cette pièce un gigantesque tableau vivant dépeignant la souffrance humaine dans tout le pathétisme qu’elle peut comporter. Désireuse de se tenir dans la zone de tension séparant le comique du tragique, on peut facile constater que la proposition, parvenue sur une scène culturelle étrangère, dans une langue étrangère bref, dans une totale étrangeté, provoque définitivement le rire. Le rire amusé, moqueur plus que pince-cœur. Mais si ces tonalités du grotesque et du ridicule étalées sur l’ensemble du spectacle étaient dues à ces noirceurs du coeur qui rend l’âme malade ? Mais voilà : l’explosion des personnages dans leur fuite du sérieux camoufle non seulement très peu les blessures, mais elle les anéantit par trop forte dose d’artifices. Autrement dit, on embarque bien dans les récits hystériques crées par toutes ces conversations de riches «converseurs», mais on arrive durement à s’en émouvoir. Un sentiment de lourdeur plane, et il est rudement efficace. On est bercés, hypnotisés.
Notre esprit ralentit et tangue dans la blancheur du brouillard où se détachent les personnages qui, malgré la vive saturation des couleurs de leurs costumes, donnent l’impression de spectres aux mouvements mécaniques. Isolées principalement à l’avant-scène, les entremêlées entre Ivanov et les siens se font dans un solide stoïcisme. Plusieurs passages et traversent de scène viennent rythmer et sculpter l’espace, mais la linéarité des déplacements rend le tout un peu trop géométrique, trop cartésien, trop bien réglé chorégraphiquement (mais n’est-ce pas là la teneur du discours entourant le mal d’Ivanov, ce sérieux et cette droiture si morne ?). Avant tout, c’est l’acteur qui est au premier plan, dans toute sa puissance, dans toute sa splendeur. Pour dire vrai, nous avons droit à des interprétations magistrales dignes de grands talents, mais faute de malheur, celles-ci s’égarent trop souvent entre la scène et l’écran de surtitrage… Qu’à cela ne tienne, leurs prestations méritent d’être saluées pour l’exaltation de cette force théâtrale qui en émane. De plus, l’environnement musical signé par Sir Henry, joué avec finesse et doigté sur la partition textuelle, ajoute une texture et une couche de sens venant compléter tout le propos à la perfection.
L’événement en soi s’offre comme un délice rare, exotique. L’œil est charmé à coup sûr et l’esprit se sent interpellé par cette étrange et trop vraie dénaturation du genre humain. Voilà une lecture totalement éclatée de l’univers d’Anton Tchekhov qui nous met en plein visage cette réalité bidon qu’est l’artifice, car derrière ce faux naturalisme débridé et psychotique se cache, paradoxalement, tout un discours sur le «naturel» vécu de nos sociétés de plus en plus modernes.
01-06-2008